La publication par les éditions Entremonde, sous le titre Pommes de terre contre gratte-ciel (critique de l'écologie politique), de la série d'articles consacrés à ce sujet par le site DDT 21, nous invite à revenir brièvement sur le sujet.
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"La pollution est aujourd'hui à la mode..." (Guy Debord, 1971)
"Il faudrait plutôt dire: combien pourront survivre, et comment ?" (Paul Matis, 2021)
Notre contemporain se réveille dans son appartement connecté qui gère énergie, chauffage, frigo, radiateur, etc., mieux qu'il ne le ferait lui-même. Il n'ignore pas que la domotique consomme beaucoup d'électricité, mais l'Internet des objets l'informe chaque heure de son "empreinte carbone" et l'aide à tenir son "compte individuel d'impact écologique".
Par-dessus sa chemise en coton bio, il enfile une doudoune faite de bouteilles en plastique recyclé et enfourche son vélo, classique mais où il a fait poser un dérailleur électrique. Croisant un camion de livraison DHL, il lit sur la carrosserie Powered by Electric Drive: It's only Natural.
Les classes sociales... il doute fortement de leur existence, et plus encore d'une lutte des classes, mais il ne lui déplait pas de s'entendre inclure dans "les classes créatives". En effet, il travaille dans la communication, activité très peu polluante, répète-t-il, et son entreprise encourage le co-voiturage, installe des poubelles dédiées, conseille d'éteindre tout appareil inutilisé et d'imprimer le moins possible, en cela fidèle aux recommandations de l'Institut du Capitalisme Responsable: "L'économie verte concerne toutes les entreprises dès lors qu'elles repensent leur chaine de valeur et/ou de production en prenant en compte les enjeux de développement durable: empreinte écologique bien sûr, mais aussi enjeux sociétaux."
Il n'apprécie guère le "crédit social" chinois parce qu'au service d'un Etat autoritaire, quoique, disait un collègue, mieux vaudrait peut-être une dictature qui sauve des vies qu'une démocratie qui pleure ses morts. Mais que sait-on vraiment de la gestion chinoise du covid ? A qui se fier ?... On ne peut plus faire confiance aux médias, ni aux politiques: en général, il vote Vert, mais le plus sûr est d'agir localement sur ce qui dépend réellement de chacun: il vient d'offrir à son neveu une maison à assembler dont les briques sont en plastique issu de filets de pêche récupérés.
Son amie, rencontrée en VR (virtual reality), prépare une licence en décroissance.
Il la retrouve pour réserver des billets d'avion : dix jours de tourisme solidaire à Madagascar ("Nos voyages changent le monde !"). Ils payent la plantation d'arbres en Indonésie pour compenser les émissions de CO2 dues à ce vol. Un certificat de parrainage l'atteste.
En attendant, dans le "hall climatique" aménagé par la mairie, ils découvrent la maquette d'un futur E3S, "Ecoquartier smart, sobre, sécure", voué au ZAM ("Zéro Artificialisation Nette").
L'exposition lui donne envie de vivre dans un E3S: " En plus, une ferme urbaine d'un hectare alimentera la cantine scolaire !"
Elle serait plutôt sceptique : "On dirait un décor de film."
Quelques courses avant de rentrer. Il évite les supermarchés, mais Lidl est au coin de la rue: il y a un mois encore, le ticket de caisse provenait d'une gestion forestière durable ("Un geste pour la planète ! En route vers demain"), depuis, fini le ticket - autant de ressources sauvées, se réjouit-il. Quoique... tout ce qui est censé remplacer le papier est fortement énergivore, par exemple, l'envoi du ticket par mail, le stockage des données étant une catastrophe écologique: il en est conscient... mais on finira par trouver une solution.
Il constate que le postier a déposé par erreur dans sa boîte à lettre un magazine destiné à son voisin, emballé sous enveloppe de fécule de pomme de terre 100% recyclable: déjà un progrès, mais le voisin serait mieux inspiré de le lire en ligne.
Un dernier regard au smartphone: "le prolongement de ma main", aime-t-il à plaisanter. Fairphone est probablement la marque la plus écologique - durable, réparable, équitable - mais il attendra que les modèles soient plus au point pour renoncer à son Samsung Galaxy. Avant de s'endormir, il lit le dernier rapport du GIEC, plus alarmant que le précédent: les politiques actuelles mènent à un réchauffement de 3,2° en 2100, rendant bientôt "invivables" de nombreuses régions du globe. Lui, qui ne ménage pas ses efforts, risque de fort mal dormir et se dit que finalement, il aurait mieux fait de lire de la poésie.
Au 21e siècle, sans être l'idéologie dominante (la première place étant occupée par la démocratie), l'écologie s'impose comme consensuelle.
Mais plus les solutions proposées et un peu (très peu) mises en oeuvre s'avèrent inadaptées, donc plus devient visible l'échec des grands plans comme des petits pas, et plus l'écologisme triomphe dans le discours (sans forcément convaincre: l'échec Vert aux élections européennes le navre). Le réformisme ouvrier d'antan se justifiait par ses conquêtes sociales. Ceux qui font aujourd'hui profession d'écologie se justifient par l'urgence pressante d'un problème que leurs actions sont incapables de résoudre.
Alors le discours gonfle. Aux néologismes déjà répandus, du phagocène au plastocène, s'ajoutent maintenant pyrocène, bovinocène, oléocène, entreprisocène, androcène... et la liste n'est pas close. Hypertrophie langagière et fuite en avant conceptuelle: quand la réalité échappe, le mot ne la rattrape pas.
Les lieux de plus en plus nombreux (tout est relatif) où l'on coopère, troque, donne et répare, n'existent qu'aux marges d'un proliférant secteur marchand dont gratuité et bénévolat compensent extravagances et défaillances. Circuits courts et commerces de proximité (avec ou sans cyclo-logistique) ne concernent qu'une faible minorité des achats.
Cela, les partis Verts ne l'ignorent pas, mais font comme s'il était possible d'étendre cette marginalité au point qu'elle finisse par se généraliser. Comment ? Avant tout, par leur propre participation au pouvoir. Ce qui implique très logiquement d'accepter l'essentiel de ce que pratiquent les gouvernements de droite comme de gauche. Y compris ce qui semblait absolument contraire aux principes et à l'éthique écologiques. Le leader du parti Vert français parle de "nos armées", et face à la guerre en Ukraine les Verts allemands, autrefois champions du pacifisme, sont parmi les plus bellicistes. Il n'y a là rien d'étonnant. Aspirer ou accéder au sommet de l'Etat, c'est - entre autres - s'accommoder du nucléaire ("en attendant d'avoir suffisamment de renouvelables") et approuver la guerre (quand elle est "juste" et même "nécessaire"), et les Verts le vivent moins comme un compromis que comme une victoire. De la même façon, autrefois, les partis ouvriers s'étaient fait accepter politiquement par la bourgeoisie en jouant d'abord le jeu parlementaire, en se ralliant à la défense nationale ensuite.
Attention ! la croissance a ses limites, avertissaient en 1972 les intellectuels, hauts fonctionnaires et industriels réunis dans le Club de Rome.
Commençons plutôt par nous demander pourquoi le capitalisme produit tant et trop. Au risque d'épuiser les matières premières, menaçait le Club de Rome, et de détruire ses propres bases matérielles, explique-t-on aujourd'hui.
Mais qu'est-ce que le capitalisme ? En général implicitement, parfois explicitement, toute une école de pensée vide ce concept de sens en le décrivant comme un "système technicien" (Jacques Ellul), un complexe "scientifique et technique" (Bernard Charbonneau), un "extractivisme" exacerbé, un "totalitarisme industriel" reposant sur un "modèle productiviste et hyper-technologique", etc. Autre exemple, plus récent, dans le journal La Décroissance:
"Dans le rapport de domination que conduit le capital, le prolétaire travailleur est face au capitalisme exploitateur de sa branche d'activité, alors que la technocratie domine globalement le champ des usages de toutes les sphères de la vie quotidienne, logement, consommation, loisirs, pour assurer des services et des marchandises à des masses de consommateurs-usagers."
En d'autres termes, le capitalisme se bornerait à exploiter le prolétaire dans son travail, tandis que la "technocratie" étendrait son emprise à l'ensemble de la société.
Au contraire, loin de réduire le capitalisme à l'exploitation de l'ouvrier par son patron dans "sa branche", Marx démontre que le rapport capital/travail vise à accroître la somme de valeur d'une entreprise contre ses rivales, concurrence qui entraîne surproduction, obsolescence, surconsommation, gaspillage, destructions... impliquant ainsi "toutes les sphères de la vie quotidienne". Là est la cause de ce que les bourgeois appellent "croissance", et leurs critiques superficiels "productivisme".
Des esprits bien intentionnés, désireux que la Terre soit traitée en "bien commun", et constatant que le capitalisme se préoccupe seulement de ce qui a une valeur marchande, proposent justement de traiter notre planète comme un capital. Puisqu'attribuer un prix à quelque chose (ou à quelqu'un), le considérer comme vendable et achetable, c'est lui donner une réalité sociale reconnue, ces bons esprits calculent ce que "vaut" l'Amazonie (ou le Pacifique), ce qu'elle rapporte, comparé aux sommes d'argent perdues à cause de sa dégradation, et qui donc justifie de préserver un bien si précieux. Mais chiffrer le rapport coût/bénéfice n'a de sens que pour ce qui est produit, acheté et vendu. Ni l'Amazonie ni le Pacifique ne sont des entreprises, lesquelles n'existent que qur les portions de forêt mises en valeur, et sur un océan à l'intérieur de zones économiques délimitées.
Si elle écoute peu les conseils de bonne gestion prodigués par les économistes, la bourgeoisie tient cependant compte de la question environnementale.
Selon ses intérêts.
La propriété privée demeure un fondement du capitalisme, mais ce principe n'est pas un absolu. Lorsque l'activité d'une entreprise porte atteinte aux conditions matérielles indispensables à d'autres entreprises, celles-ci s'efforcent d'y remédier en faisant adopter des lois ou des réglements appropriés, et ce davantage encore quand les dommages mettent en cause l'ensemble de l'économie d'une région ou d'un pays. Les capitalistes ne négligent pas leur propre "développement durable". Ils ne restent pas indifférents à ce qui se déroule certes à l'extérieur de leur entreprise, mais qui lui est nécessaire, ou inversement qui pourrait lui nuire. On n'a pas attendu la fin du 20e siècle pour poser des limites à la propriété privée, et inclure le coût des dégâts écologiques dans l'ensemble des coûts, soit en obligeant l'entreprise fautive à les payer, soit en les faisant prendre en charge par le budget de l'Etat. Cette seconde solution (individualisation des profits, socialisation des pertes) a évidemment la préférence des bourgeois. Ils font leur possible, non pour éviter un réchauffement climatique dont ils sont les causes, mais pour atténuer des dégradations écologiques devenues un surcoût dommageable à l'ensemble du système.
Encore faut-il l'imposer. En Amazonie, par exemple, agrobusiness et industrie minière l'emportent sur les velléités des Etats concernés.
Malgré tout, l'écologie ne laisse pas sourdes les classes dominantes. En particulier, elles traitent à leur façon une "crise énergétique". Aujourd'hui les multinationales du pétrole investissent dans le renouvelable. Demain on mettra à profit toutes les énergies disponibles: hydraulique, éolienne, marine, solaire, géothermique, plus tard peut-être la force des volcans, et s'il le faut des robots iront creuser le sol d'autres planètes pour que l'espèce humaine chaque soir puisse continuer à recharger ses téléphones.
Pour autant, quelle que soit leur ampleur, les économies réalisées dans la consommation énergétique aboutissent à son augmentation. Paradoxe expliqué à propos du charbon par l'économiste William Jevons en 1865:
"L'idée selon laquelle un usage plus économe du combustible équivaudrait à une moindre consommation est une confusion totale. C'est l'exact contraire qui est vrai. [..] tout ce qui conduit à augmenter l'efficacité du charbon et à diminuer le coût de son usage, a directement tendance à augmenter la valeur du moteur à vapeur et à élargir le champ de son utilisation."
Un siècle et demi d'histoire confirme ce qu'annonçait Jevons. Non seulement la consommation de charbon augmente, mais des sources d'énergie inconnues de Jevons ou quasiment inutilisées en son temps dans l'industrie - pétrole, gaz, nucléaire, solaire, vent - sont venues s'y ajouter: la nouvelle ne remplace pas la précédente, car l'une complète l'autre. La Chine est réputée ouvrir chaque mois une ou deux centrales à charbon. Quant au bois, il sert au chauffage d'une grande partie de l'Afrique, ailleurs il commence à alimenter des centrales électriques, et en vingt ans son usage a presque doublé.
Depuis les années 70, la part des ressources fossiles dans la consommation mondiale d'énergie primaire (celle exploitée avant transformation et livraison à l'utilisateur, entreprise ou particulier) reste d'environ 80%, soit une baisse de seulement quelques pourcents, tandis que cette consommation était elle-même multipliée par deux.
Jamais l'espèce humaine n'autant produit, n'a été aussi énergivore. Notamment, toutes les productions, de l'avion au téléphone en passant par l'automobile (électrique ou non) exigent d'énormes quantités de métal (étain argent, nickel...) dont l'extraction nécessite de l'énergie très concentrée. Celui qui disserte sur l'immatérialité du monde le fait en tapant sur les touches d'un ordinateur qui n'existerait pas sans "métaux rares". De même, il faut de l'énergie, des métaux et des ressources minières (phosphate, potasse...) pour récolter, transformer, stocker et transporter les produits agricoles. Il est absurde d'imaginer que l'on pourrait continuer à produire autant et même davantage, tout en réduisant l'impact environnemental de ces productions.
"Contrairement à tous les discours sur le développement durable, la dématérialisation, l'économie circulaire, le recyclage, le green tech, nous n'avons jamais autant extrait de ressources." (Philippe Bihouix)
En ce début de 21e siècle, "CO 2" tient lieu de formule magique résumant les causes de la crise écologique, et proposant donc sa solution: changer nos voitures à essence pour des électriques. Au prix d'un essor renouvellé du nucléaire, quels que soient ses (souvent minimisés) coûts en énergie et en ressources de toutes sortes, et ses dangers, de l'accident "bénin" au majeur, lequel entraînerait en France la contamination d'un ou plusieurs départements, l'évacuation forcée d'1,5 million de personnes, et des dizaines (voire centaines) de cancers supplémentaires. Risque que les Etats sont prêts à courir. Après tout, ils ne renoncent pas à la guerre, elle aussi meurtrière, si elle leur paraît nécessaire. Jamais le "scénario du pire" n'a fait dévier les classes dirigeantes de ce qu'elles estimaient leur intérêt.
"Nous devons commencer à faire aujourd'hui ce que nous ne pourrons faire aussi bien demain", conseillait Jevons. Hélas, il ne sert à rien d'en appeler au bon sens des bourgeois. La logique capitaliste privilégie le court-terme, et si l'on prépare demain, c'est dans la continuité d'aujourd'hui, non par une rupture.
Il reste assez de pétrole, de gaz et de charbon pour des décennies, à un coût certes supérieur à ce qu'il était jusqu'ici.
Mais, de toute façon, ce système ne se bloquera pas lui-même par pénurie ou épuisement des ressources. La baisse des taux de profit n'a jamais arrêté la machine capitaliste: n'attendons pas non plus qu'à elle seule, la baisse des rendements énergétiques y réussisse. Déjà ce mode de production a traversé insurrections, guerres, crises économiques mondiales, dévastations, massacres... Tant que se perpétuent ses fondamentataux - rapport capital/travail et marchandisation de tout - il peut continuer à fonctionner.
Nombre de théories radicales croyaient que les prolétaires se dresseraient contre le capitalisme quand il les jetterait dans la misère.
Il serait maintenant tentant d'espérer que les prolétaires, ralliant à eux de larges fractions de l'espèce humaine, s'en prennent à un système qui détruit rien moins que leurs conditions matérielles d'existence.
Cependant, en l'absence de tentative révolutionnaire, la catastrophe écologique n'érige pas l'obstacle (enfin) insurmontable par le capitalisme. Provisoirement au moins, elle renforce ce système: le chaos appelle ses gestionnaires, et le désordre sans perspective de dépassement favorise une restauration de l'ordre. L'annonce répétée des désastres présents et futurs est vécue comme un destin auquel tout invite à se résigner, en espérant sans trop y croire que les pouvoirs en place l'adoucissent quelque peu.
S'il y a un domaine où "juste milieu" et solution "raisonnable" s'avèrent inadaptés, c'est bien l'écologie.
Dans la relation capital/salariat, le réformisme peut modifier le sort des prolétaires par de meilleurs salaires et des conditions de vie améliorées... malgré la fragilité d' "acquis" susceptibles d'être remis en cause dès que la confrontation de classe tourne à l'avantage de la bourgeoisie. Pensons seulement aujourd'hui au sort des retraites.
La crise environnementale, elle, touche autre chose que le rapport entre profit et salaire. Elle renvoie à la logique profonde d'un système de production incapable de renoncer à ce qu'il est. Sa dynamique, c'est "l'illimitation".
Cinquante ans après les experts du Club de Rome, d'autres modérateurs recommandent de prendre des précautions contre une catastrophe écologique prochaine ou déjà advenue: mieux vaudrait, disent-ils, dépenser un peu maintenant que d'éviter de devoir dépenser beaucoup dans vingt, trente ou cinquante ans en étant forcés de survivre dans une planète irréparable. Malheureusement, le capitalisme ne se gère pas en bon père de famille (des centaines de millions de familles vivent d'ailleurs à crédit). Le monde moderne n'est pas une entreprise soucieuse de son bilan (et de son avenir), il est au contraire le terrain d'une compétition entre entreprises et entre Etats. Laissons à la politique-fiction la crainte (ou l'espoir) d'un gouvernement mondial, démocratique ou autoritaire, recensant, planifiant et administrant tout au bénéfice de tous par ordinateur grâce à des capteurs omniprésents.
Quelles que soient la taxation des ressources énergétiques, la montée des renouvelables et la venue d'un pic d'extraction des fossiles, ni la verticalité des écolos de gouvernement ni l'horizontalité des alternativistes ne nous livre le remède. A mesure que progresse la "transition écologique", chaque petit pas en avant aura toujours un degré de retard sur une situation qui ne cesse d'empirer. Le capitalisme est jusqu'à un certain point capable de se réguler, mais incapable d'une auto-réforme écologique.
Dans le cas où des ressources viendront à manquer, les gouvernements n'hésiteront pas à imposer un rationnement, au nom de la planète et du bien de tous. Déjà, l'hiver 2022-2023, les Français ont été invités à économiser l'électricité: s'il faut un jour nous y contraindre durablement, les sondes, détecteurs de température et compteurs "intelligents" gérés à distance seront là pour cela:
"[..] la crise du Covid-19 [a favorisé] l'accélération de processus déjà à l'oeuvre avant son irruption, dans des domaines aussi divers que la techno-surveillance, la digitalisation ou encore le contrôle social." (Tristan Leoni & Céline Alkamar)
On a parlé du covid comme un "signal d'alarme", mais pourquoi aurait-il été entendu ? par qui ? et pour quoi faire ? Quelle que soit l'origine du virus, sa diffusion découle de l'organisation capitaliste du monde: agriculture intensive, élevage industriel, transport de marchandises d'un bout à l'autre de la planète... et détérioration des services sanitaires puisque la santé de l'économie a priorité sur celle des populations.
Le réel ou supposé "positif" d'une societé est inséparable de son "négatif". L'agriculture apparemment très productive, et l'abondance sur les rayons du supermarché, n'ont été possibles qu'en réduisant la biodiversité par une standardisation et une uniformisation du travail de la terre, ainsi qu'une taylorisation de la transformation des produits alimentaires.
Si le numérique, formidable consommateur de ressources, s'impose partout, y compris dans les têtes, c'est qu'il aide à satisfaire des besoins aujourd'hui bien réels. Dans la société telle qu'elle est devenue au 21e siècle, il n'y a pas d'usage modéré de l'ordinateur, du smartphone ou de la tablette, désormais quasi obligatoires autant à l'école (école primaire incluse) que dans une recherche d'emploi, une démarche administrative, en voyage, en famille ou entre amants.
Seule une transformation radicale du mode de vie permettra d'autres manières de manger, d'habiter, de se rencontrer, d'apprendre, de se déplacer, de communiquer, de lire, d'écouter de la musique, et de produire, c'est-à-dire de vivre autrement en produisant autre chose nécessitant moins de ressources, donc en produisant moins.
"Si une révolution advient un jour, il est fort probable qu'elle sapera mécaniquement les bases sur lesquelles repose aujourd'hui le monde, en une sorte de décroissance vertigineuse, particulièrement brutale et fradicale - il suffit de réfléchir un instant à la manière dont sont créés l'électricité et le carburant pour comprendre qu'une révolution bouleversera ce type de production... et tout ce qui en dépend. [..] Le "tri sélectif" à faire parmi les restes et les ruines de l'ancien monde ne se fera pas en fonction de ce qui serait pratique, mais en fonction de ce qui sera faisable. En effet, qui retournerait des tonnes de terre au coeur de l'Afrique pour en extraire des grammes de métaux rares ? Qui ferait fonctionner les puits de pétrole émiratis ou les méthaniers panaméens ? Pour le dire brutalement, à moins d'imaginer la persistance des industries nucléaire et pétrolière, il est fort probable que dans un monde post-révolutionnaire l'industrie pharmaceutique (quoi qu'on en pense par ailleurs) n'existera plus et que les médicaments seront rares, peu variés et fabriqués de manière artisanale ou proto-industrielle. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, il est probable que les humains se soigneront fréquemment avec ce que l'on appelle aujourd'hui (en France) les médecines douces ou alternatives..." (Tristan Leoni & Céline Alkamar)
Il y a cinquante ans déjà, nous étions un certain nombre à dire que la moitié des usines fermeraient. Un minimum.
Pour lire en ligne l'ensemble des articles consacrés à ce sujet par le site DDT 21, voir sa page d'accueil, rubrique "Ecologie".
L'édition d'Entremonde en 2024 en offre une version légèrement différente et augmentée. Table des matières :
Une question ancienne et nouvelle
Chapitre 1: Du 19e au 21e siècle
Chapitre 2: Le mode de production capitaliste ne sera pas écologique
Chapitre 3: Ecologie bourgeoise
Chapitre 4: Echec de l'écologie politique
Chapitre 5: De l'anthropocène au capitalocène
Chapitre 6: la fin du monde n'aura pas lieu
Chapitre 7: Capitalisme ou communisme
Cause perdue ?
Debord, La planète malade, 1971.
Paul Matis, Biocène. Comment le vivant a coconstruit la Terre, Le Pommier, 2021.
François Jarrigue, Thomas Le Roux, La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l'âge industriel, Seuil, 2017.
La Décroissance, Juillet-Août 2022, entretien avec Salvador Juan.
Le livre de William Jevons, The Coal Question; An Inquiry Concerning the Progress of the Nation, & the Probable Exhaustion of Our Coal Mines, 1865, ne semble pas traduit en français. Le site Partageons l'Eco donne un exposé rapide du "Paradoxe de Jevons" (également appelé "l'effet rebond").
Philippe Bihouix, Le Bonheur était pour demain, Seuil, 2019.
Guillaume Pitron, "Quand le numérique détruit la planète", Le Monde Diplomatique, Octobre 2021.
Marie-Monique Robin & Serge Morand, La Fabrique des pandémies: Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, La Découverte, 2022.
Amadeo Bordiga, Espèce humaine & croûte terrestre, Entremonde, 2024. Introduction de G. Dauvé.
Tristan Leoni & Céline Alkamar, La fin du début ? Covid, passe sanitaire & critique radicale, Mars 2022.
G.D., Covid, crise & résilience capitalistes, Mars 2022.
Ces deux derniers textes sont lisibles sur le site DDT 21.