10 + 1 questions sur la guerre du Kosovo (1999)

En 1991, l’éclatement de la Yougoslavie faisait renaître ce que 1945 était supposé avoir banni pour toujours du cœur de l’Europe : la guerre, mais aussi les camps de concentration d’un nationalisme raciste. En 1999, au nom de la lutte contre la « purification ethnique », l’OTAN attaquait une Serbie accusée de préparer un génocide au Kosovo. Cette guerre devait diviser à la fois la droite, la gauche, l’extrême-gauche et parfois les milieux radicaux, semant même le trouble parmi les anarchistes. Depuis, une coalition, différente quoique également animée par les Etats-Unis, a envahi et occupé l’Irak, suscitant dans le monde entier en 2003 une vague pacifiste beaucoup plus large que les protestations contre les bombardements anti-serbes quatre ans plus tôt, mais tout aussi confuse et ambiguë. Le « 11 septembre » et les réactions ultérieures devant la guerre menée en Afghanistan par une autre coalition, une fois de plus sous direction étasunienne, n’ont fait qu’amplifier fausses certitudes et désarrois. Le texte qui suit, écrit mi-1999, ici reproduit avec quelques légères modifications, voulait répondre à quelques questions… qui se posent encore. La critique sociale ne peut se dispenser de réfléchir à ce qui conduit des sociétés et leurs Etats à se lancer dans un conflit armé, d’autant que, comme nous l’avancions en 1999, et comme l’a confirmé la crise ouverte en 2008, l’équilibre retrouvé par le capitalisme grâce à sa « mondialisation » n’était ni stable ni durable. (note de 2010)

« LE CINÉMA MET UN UNIFORME À L’ŒIL » (Kafka)

Un énorme babillage s'étend gris et monotone au dessus de la vie, comme un mirage énormément décourageant. "S'informer" sur ce que l'on renonce à modifier, qu'il s'agisse du cours habituel du monde ou de ses déchaînements guerriers, n'est-ce pas déjà le signe de notre défaite ? Le téléspectateur est un prolétaire vaincu, non à l'instant où il s'assied devant son poste, mais d'avoir été préalablement réduit à cet état par un mode de vie et des luttes inabouties ou faussées -- état dont il pourra un jour sortir par d'autres luttes productrices d'une autre situation.

Toute guerre résulte de contradictions non résolues dont notre impuissance collective n'est qu'un effet, et chacun de nous ne reste un individu privatisé que tant qu'une société lui fait oublier qu'il est social. Il y a une obscénité à regarder ou lire l'horreur dont la mise en images ou en mots invite d'un même mouvement à se réjouir ("le coup d'arrêt porté aux salauds génocideurs") et à avoir honte ("les pauvres gens massacrés"). L'abaissement consiste ici moins à ne rien faire qu'à se laisser faire, à glisser dans une violence d'origine réelle mais vécue comme représentation, qui à la fois excite et crée le malaise.

Rarement la manipulation d'émotions déconnectées d'une relation directe était allée si loin, par raccourcissement du décalage temporel entre l'atrocité et son apparition sur écran. Pis, l'utopie communicationnelle (autre nom de la démocratie) promet qu'un jour, la barbarie devenant enfin visible en temps "réel", nous serions à même de l'empêcher. Si, dit-on, l'opinion avait eu sous les yeux non seulement les réfugiés kosovars, mais les victimes serbes, par exemple les centaines de milliers de réfugiés venus de Bosnie et de Croatie en Serbie avant le conflit du Kosovo, en un mot toutes les horreurs, elle se serait retournée contre la guerre. Hélas, plus vite nous voyons, mieux est prouvée notre impuissance fascinée. Dans l'image de la mort de l'autre, le spectateur contemple sa propre perte.

La guerre du Kosovo marque une dépossession accrue de la vie: non seulement des hommes infligent une mort qu'ils ne voient pas, mais cette mort se double d'une seconde, sur d'autres écrans dont les spectateurs contribuent ainsi à la tuerie. Mieux encore que la vie courante, la guerre fait se dresser devant nous nos productions comme autant de puissances étrangères: le rapport social à l'origine de l'avion, du fusil, du soldat, semble dissout dans un monde d'objets. La relation entre chacun de nous et la forme prise par nos actes apparaît plus lointaine, démultipliée à l'infini, hors de portée. Pareille déréalisation conforte une nouvelle mode, qui ne voit dans le spectacle que le spectacle, et assimile la guerre à un sitcom planétaire. Or, c'est un certain type de réalité qui fait apparaître le réel comme irréel. L'Américain (l'Européen ?) moyen passe peut-être trois ou cinq heures par jour devant une boîte à images, mais il ne vit pas à la télévision. La relation du prolétaire à la guerre, comme au monde en général, passe par la machine communicationnelle et politique (c'est la même chose), mais seulement dans la mesure où cette machine, comme les autres, dépend de l'activité et de la passivité du dit prolétaire. Car c'est cette contradiction qui fait l'histoire. A la question: "Pouvons-nous changer le monde ?", la réponse, y compris quand coulent des flots de sang et de sottise, demeure: "Oui, puisque nous le faisons."

1. L'HUMANITAIRE, STADE SUPRÊME DE LA DEMOCRATIE ?

Passage définitif à l'ère industrielle et marchande, 14-18 a été justement qualifié de guerre totale: population masculine adulte mobilisée au front ou à l'arrière, usines reconverties en fabriques d'armements, presse et intellectuels reconvertis en fabriques de propagande.

39-45 fut sans doute la première guerre moderne d'un monde dont le problème majeur était de ré-englober ses prolétaires. Des quatre grands impérialismes en présence, anglo-américain, japonais, allemand et russe, deux se proclamaient peu (Hitler) ou prou (Staline) anti-capitalistes.

Vinrent les nombreuses guerres locales, réabsorption de soulèvements sociaux par des mouvements nationaux eux-mêmes enjeux d'un repartage du monde entre blocs.

Si l'offensive contre l'Irak en 1990-91 a représenté le premier conflit "post-colonial" où ce qui était encore l'URSS jouait un rôle mineur, l'attaque de l'OTAN contre la Serbie en 1999 s'est déchaînée à large échelle contre un ennemi très secondaire: ainsi, à travers lui, c'est le re-équilibrage d'un système régional et mondial qui était visé.

Guerre globale, elle l'est aussi parce qu'elle a mis en jeu l'ensemble des mécanismes sociaux. Une famille paysanne, à l'été 14, perdait ses hommes partis au front, et la même vie continuait, plus difficile. Quatre-vingt-cinq ans après, bien que la mobilisation extensive appartienne au passé, le fait militaire est omniprésent, mais invisible, mêlé au reste, car toutes les forces oeuvrant à la reproduction de cette société se confondent. L'industrie fait de l'art, Vivendi de l'écologie, l'EDF a sa propre ONG dont les agents creusent bénévolement des tranchées au Sahel pour apporter l'électricité aux Africains, le World Wildlife Fund s'allie à la World Bank pour sauver les forêts, et chaque sportif professionnel ressemble à un collage de réclames: il est donc normal que l'armée ait ses Public Relations, que les paras portent dans leurs bras des bébés, que l'on ne sache plus où commence et où finit la vie civile, et que l'industrie de la mort fusionne technique et éthique.

Quoique antérieures à l'âge industriel, technique et éthique ont accompagné la dynamique capitaliste, qui a la fois se les soumet et les porte à un niveau jamais atteint.

Cette société livre bataille comme elle produit. La guerre américaine du Vietnam a été qualifiée de General Motors de la Mort. La même mégamachine qui planifie, minéralise, construit, détruit, spectacularise, trace autoroutes et TGV, mène ses campagnes militaires sur une échelle tout aussi monstrueuse, et les promeut d'un marketing identique. Le char de 50 t. emprunte aux engins à chenilles qui ravagent la campagne, et quiconque admet les "miracles" de la médecine peut croire aux frappes "chirurgicales".

La fuite en avant technologique n'est pas maîtrisable par un monde reposant sur une soif de productivité. La technique n'est pas sa propre cause. Le capital ne produit pas pour produire, ne détruit pas pour détruire: sa logique est de rester rentable. Jamais un patron ne rationalise par goût du modernisme, toujours afin de mieux valoriser son capital. Les régulateurs (faussement nommés décideurs) peuvent seulement superposer des instances de contrôle, créant une société de la protection, de la limitation, de la vérification, de la surveillance. Au nom de la démocratie, prolifèrent les bureaucrates. Qualité des aliments, informatique, spéculation, relations parents-enfants... rien ne vit désormais sans son garde-fou. Il existe un Conseil National du Bruit.

Pour se penser elle-même, se justifier, cette médiation permanente de tout ne peut se référer à un savoir technique, puisque c'est lui qu'il s'agit de gérer. Elle fait donc appel à une généralité censée tout encadrer pour le bien de chacun: l'éthique. Au sommet, au dessus d'une pyramide de CNIL et de comités des sages, règne le médiateur des médiateurs: l'Etat.  Déontologue universel, il doit se revendiquer du bien commun. L'argent est inévitable ? Ajoutons-y alors l'impératif de solidarité ! S'il profite au plus grand nombre, le profit cessera d'être un mal. L'économie politique se réhabilite comme science de la justice sociale. Exit l'ordre moral, vient un ordre qui se veut "bon" : Profit with a Conscience.

Idéaux et codes traditionnels périclitent, remplacés par une purification éthique.

D'autres époques se représentaient leurs contradictions, leur devenir, en termes théologiques, ou humanistes, ou progressistes. La publicité est la grammaire de notre époque, l'éthique une de ses langues vernaculaires. Devant des troubles ou des massacres dont l'excès menace leurs intérêts, les gouvernants n'envoient plus un corps expéditionnaire, mais des justiciers. L'Etat moderne se présente comme machine à faire le Bien: l'humanitaire fusionne démesures industrielles et inflations de bonne conscience.

L'humanitaire est la communauté humaine réduite aux Etats. Loin d'être pure manipulation, il constitue le mythe, la grande toile narrative sur laquelle le monde industriel et ses Etats interprètent leur déchaînement de violence militaire. Il unit échappement technologique et justification morale, projetant d'un même élan, à des milliers de kilomètres, soldats, bombes, boîtes de conserve, docteurs, reporters, et enquêteurs sur le crime contre l'humanité.   

Deux mois de guerre auront condensé, jusqu'à la caricature, ce que nous vivons en temps dit normal, comme ce qui se vit dans les autres conflits qui dévastent la planète. Essor des ONG, relais des partis par les associations, effacement des démarcations droite/gauche au profit d'interprétations des droits de l'homme, autant de phénomènes qui signalent la dissolution des programmes en sentiments. Autrefois, régnaient  des doctrines parfois contestées. L'actuelle moralisation (la guerre des bons contre les méchants), ne suscite ni critique ni vrai cynisme, plutôt un décrochage, une non-adhésion passive. Par analogie avec la télécommande (remote control), le n°18 d'Here and Now (hiver 97-98) décrivait la psychologisation de tout, l'appel permanent aux sens, aux affects, comme un vaste emote control (contrôle des émotions) dont personne ne détient la clé: Big Brother n'existe pas.

Attentifs/ensemble...Dans les transports publics, trois gentilles créatures asexuées invitent à surveiller les paquets abandonnés, donc à nous surveiller mutuellement: la "sécurité" au nom de la communauté. Dépassé, 1984: la pilule du bonheur du Meilleur des Mondes modèle mieux les comportements que la Police de la Pensée. Ce qui réunit autour d'une "bonne cause" accomplit et prépare de mauvais coups.

Inutile de s'indigner du mélange des genres. En dégustant du café Max Havelaar à la buvette de l'Assemblée Nationale, les députés contribuent à un "projet de développement". Les grandes entreprises militent pour l'environnement, Novartis et Monsanto, multinationales agro-alimentaires, revendiquent l'authenticité, le capital se veut "propre", ses guerres aussi. War with a Conscience.

 2. QUELLE MONDIALISATION ?

En approchant du coeur d'une Europe qu'elle avait délaissée depuis 1945, la guerre abat l'illusion d'une économie mondiale propagatrice de paix, et dément l'optimisme de cet Américain qui doutait que deux pays abritant des McDonald's puissent un jour s'affronter par les armes. Mais elle montre aussi l'échec de la civilisation industrielle, marchande et démocratique à se généraliser sur l'ensemble de la planète. Dans l'Est européen, dix ans après la chute du Mur, seules l'ex-RDA, la Pologne, la République Tchèque et la Slovénie connaissent un marché intérieur, une croissance relativement auto-centrée, une circulation du travail et du capital, et jouissent d'un régime parlementaire.

Pays baltes exceptés, l'ex-URSS aurait un PNB égal à 55% de celui de 1989, soit une chute pire que celle des pays occidentaux après la crise de 1929 (- 30% aux Etats-Unis et en Allemagne, - 10% dans le reste de l’Europe). En Russie, 40% des produits industriels s'échangent par le troc, et les investissements sont descendus au 1/5ème du niveau de 1990. Capable d'implanter Internet dans des millions de foyers et de peupler la rue de portables, le capital n'a pu intégrer l'ex-Yougoslavie à l'espace européen, et seulement détaché ses morceaux les plus assimilables. La majeure partie de l'ancienne zone capitaliste d'Etat subit grégarisme, fièvre nationale, et le maintien ou le retour des bureaucrates. Il est impossible d'apprécier l'évolution des Balkans en dehors de cette régression historique.

On ne comprend rien en opposant une partie du monde qui s'ouvre au commerce pacifique et à la démocratie, et une autre qui se ferme, tourne à la dictature et penche vers la guerre. Il n'y a aucune contradiction entre la mondialisation et les poussées nationales agressives. La formation de blocs commerciaux va de pair avec la fragmentation identitaire, où ce qui est commun prend la forme de ce qui distingue.

La civilisation moderne voudrait se persuader que tout irait mieux si la marchandise régnait seule, sans les scories historiques que sont le clan, l'ethnie, l'Etat, le fanatisme, bref ce qui divise, ce qui entrave une circulation des biens et des personnes facteur de liberté et finalement d'égalité. Malheureusement, le système capitaliste n'est pas un espace indivis composé d'une infinité de points tendanciellement égaux entre lesquels évolueraient hommes et choses. De la concurrence, naissent toujours des monopoles. Le capitalisme a été, et demeure, découpé en zones organisées autour de centres dominant des territoires. Il a besoin de l'Etat, de la nation, non par idéologie, non pour payer un tribut au passé, mais par nécessité dans la compétition entre pôles rivaux afin de protéger ou de pénétrer des marchés.

Il est vrai que le cadre national, même élargi à un continent (comme aux Etats-Unis, ou un jour en Europe), s'avère pour le capitalisme un carcan. Mais c'est pour cela que le capital s'appuie sur l'Etat, afin de repousser ou enjamber les limites territoriales. Les grandes sociétés, américaines par exemple, font appel à l'Etat pour vaincre les résistances d'autres ensembles étatiques, telle l'Europe. L'internationalisme consubstantiel au capital passe par le recours à un Etat-nation contre d'autres. Ce paradoxe n'a pas varié depuis des siècles, sinon dans ses formes. Les entrepreneurs libéraux de Manchester comptaient sur les soldats de Sa Majesté pour ouvrir l'Inde et la Chine à leurs produits. De nos jours, les bien nommées "guerres" de la banane, de la voiture, des magnétoscopes, de l'acier, du boeuf, de l'aérospatiale, etc., témoignent de l'intervention régulière de ces concentrés sociaux que sont les Etats. Le capital a beau être force impersonnelle, il lui faut s'incarner en institutions, pour faire céder des structures étatiques grâce à d'autres.

Même lorsque des entreprises géantes (ITT en Amérique latine, ELF en Afrique, les pétroliers au Moyen Orient...) font elles-mêmes directement de la politique, elles ne manquent pas de s'adresser au bras armé clandestin (CIA) ou officiel (marines) de "leur" Etat. La firme la plus cosmopolite a au moins un  passeport en poche, sinon plusieurs.

En 1990, la réunification allemande (re)constitue l'entité la plus puissante du continent, moteur d'une union européenne future, et donc facteur d'affrontement: l'année suivante, l'Allemagne encourage les sécessions slovène et croate. Les mêmes forces concentrent des dynamismes marchands convergents, et poussent à l'éclatement d'ensembles territoriaux vulnérables. L'expansion de l'un entraîne le repli ou l'effacement d'autres.

Près de dix ans plus tard, loin de prouver la bonne santé de l'économie mondiale, la guerre récente atteste sa rétraction. Le capital n'est pas sorti du "fordisme", n'a pas dégagé de nouvelles manières de produire et de consommer, parce qu'il n'a pas pleinement dépassé les formes du rapport salarial léguées par la trilogie Taylor-Ford-Keynes. L'incapacité à développer l'Est européen en est un signe,  comme le relatif échec asiatique. Seule la Corée du Sud crée un marché intérieur et ne dépend pas totalement de ses exportations. Ce n'est pas un hasard si elle combine démocratie politique et représentation syndicale du travail.

Ce que le capital ne peut absorber doit rester ouvert, susceptible d'être contenu, et maté en cas de désordres. L'attaque contre un Irak et une Serbie rebelles à la domination occidentale s'en prend à des pays initialement assez proches du modèle politique laïc et pluri-ethnique, aspirant au rôle de leader d'un sous-ensemble régional. Relativement modernes, ces deux pays ont aussi en commun de posséder une classe ouvrière combative, y compris contre la guerre menée par "son" Etat. Enfin, la Serbie avait refusé les pressions du FMI qui, comme autrefois le Plan Marshall, fait dépendre son aide d'une soumission au marché mondial, c'est-à-dire à ceux qui y prévalent.

Ce que le capitalisme ne s'assimile pas, il l'épuise.       

Rien pourtant n'est acquis. Les controverses otaniennes sur l'intervention terrestre au Kosovo exprimaient le dilemme d'un système qui domine d'en haut sans impulser un développement "au sol", horizontal, des productions et des échanges. Cette contradiction se retrouve au plan stratégique: l'OTAN ne consolide une partie du monde qu'en créant de nouvelles fractures, dressant les Etats-Unis et l'Union Européenne contre la Russie, mais aussi contre l'Inde, contre la Chine, accentuant aussi la compétition entre l'Europe et l'Amérique, et celle qui les oppose toutes deux au Japon.

Le capital a gagné la partie contre les mouvements des années 60 et 70, mais peine à unifier la société au sein des grandes métropoles dont les antagonismes mènent le monde. Il accumule une force sociale et militaire gigantesque qui, privée de rival majeur comme l'était l'URSS, à la fois hésite à s'employer et frappe en aveugle. L'acharnement à piétiner l'Irak, à accabler la population d'un Etat vaincu, cette autonomisation de la capacité destructive, traduit une perte des objectifs: l'US Air Force bombarde parce qu'elle en a les moyens et que Saddam est un ennemi. La cohérence impérialiste se réduit à gérer une incohérence plus profonde: l'Amérique incarne (mieux que jamais !) un mode de vie qu'elle est incapable d'étendre.

En Serbie, puisqu'il est clair que l'OTAN s'en remet aux démocrates pour tourner la page milosevicieuse, que feront ses 30.000 soldats sur le sol kosovar ? Le mot "indépendance" reste tabou, mais l'occupation otanienne détache de fait de la Serbie une province vouée à l'assistance, non au décollage économique: en Bosnie déjà, les investisseurs privés étaient rares. Aucune re-socialisation n'accompagne la présence militaire. Le capital déstructure mieux qu'il ne restructure: ce qu'il a opéré pacifiquement dans l'ex-URSS vient de s'accomplir violemment en ex-Yougoslavie. Contrairement à l'après-45, nous ne sommes pas en présence d'un impérialisme triomphant dépassant positivement ce qu'il ravage. Incapable de développer la région, il en étouffe par la force les contradictions, rejetant sur la Serbie les antagonismes sociaux qu'elle avait reportés à l'extérieur, polarisant davantage les conflits sur des lignes "ethniques", exacerbant les causes d'explosions futures.

 3. FAUT-IL AVOIR PEUR DE LA PAIX ?

De l'interpénétration des capitaux sur la Terre entière, certains déduisaient il y a cent ans l'improbabilité de grands conflits. 1914 montra que l'internationalisation économique exacerbait, et non atténuait, les affrontements entre Etats. Fusions et acquisitions se multiplient aujourd'hui: cinq des douze constructeurs automobiles japonais ont pour premier actionnaire un étranger. Les entreprises ne s'unissent que pour former des blocs rivaux dans une concurrence accrue qui n'annule pas, mais au contraire renforce le rôle d'un Etat concentrant sur son territoire des énergies productives qu'il protège contre d'autres, avant d'en projeter un jour à l'extérieur la force armée :

"Il faut que l'Allemagne exporte ou meure."(Hitler, 30 janvier 1939)

Même sous forme de "nation européenne", l'Etat-nation demeure le cadre d'une dynamique que nous persistons à nommer capitaliste, parce qu'elle repose sur la confrontation de sommes de valeurs cherchant à se valoriser. De l'Irak aux Etats-Unis, aucun grand pays n'existe et ne se maintient sans obéir à cette logique, et pas un petit comme la Serbie n'y échappe. Il n'est pas un conflit durable qui ne s'articule sur des intérêts capitalistes. Privée de soutien extérieur, une guérilla s'épuise ou doit se financer par le trafic. Aucune  rébellion "tribale" africaine ne s'étend sans l'appui d'un Etat puissant ou de grandes entreprises. Aujourd'hui plus encore qu'en 1848, c'est le capital qui mène le monde.

Tout pourtant est fait pour nous persuader que les Etats contemporains se donnent à la violence armée pour des motifs tenant au passé. 14-18 serait issu d'un engrenage dynastique, 39-45 d'une haine d'un autre âge, et les récents conflits balkaniques d'archaïsmes ethniques. En somme, le 20e siècle se battrait pour des raisons étrangères à ce qu'il a de plus moderne.     

L'opinion perçoit un lien entre capitalisme et guerre quand elle voit une cause matérielle, tangible: les mines du Katanga, le pétrole d'Arabie, etc. Or, la causalité est rarement immédiate, et bien plutôt globale. A la conquête de territoires succède celle de parts de marchés, au colonialisme la mainmise sur des matières premières, et au commerce de l'opium imposé à la Chine par les canons anglais, la diffusion forcée d'un mode de vie et de consommation. Les conflits militaires rajeunissent le capitalisme, non seulement par les reconstructions qu'ils entraînent (sinon il suffirait de démolir les HLM au bout de cinq ans, et de concevoir des réfrigérateurs qui tombent en panne après six mois), mais surtout en déblayant des structures et couches sociales anciennes, ouvrant la voie à des formes plus salariales, plus mercantiles, plus "purement" capitalistes.

En anéantissant en quelques secondes un engin qui coûte des milliards, l'outrance guerrière apparaît comme l'inverse des lois économiques. C'est oublier que notre civilisation repose sur la destruction comme sur la production. Vêtements, films et outils de jardin sont mis en vente pour accroître la somme de valeur incarnée dans l'entreprise qui les a fabriqués. Le coût calculé au plus juste des opérations nécessaires à ce qu'une Toyota sorte de l'usine inclut son obsolescence planifiée, et il existe des cimetières de voitures comme d'avions militaires. Valorisation, dévalorisation, sur-accumulation comme remède aux rendements décroissants, concurrence à mort... le profit n'est jamais le rapport d'un capital seulement avec lui-même, toujours aussi contre des rivaux. Périodiquement, la guerre économique finit en guerre tout court.

Certes, le capital n'est pas assoiffé de sang, mais de valeur, et ne cherche pas à transformer le moindre incident en affrontement militaire. Soucieuses d'ordre, les classes dirigeantes se méfient de la guerre, sachant ce qu'elles y risquent: non "la révolution", mais, comme l'expérience le leur a appris au moins depuis 1914, la perte de positions et de fortunes acquises. Mais, plus encore, elles craignent leur ruine et, meilleures matérialistes que les intellectuels qu'elles emploient, il leur arrive de préférer l'aventure à un déclin assuré.

Une grande guerre est donc inévitable dans les premières décennies du 21e siècle, mais supposera une crise économique venue à maturation, une large surproduction, une forte baisse des rentabilités, une exacerbation des conflits sociaux et des antagonismes commerciaux, exigeant à la fois de repartager le monde et de régénérer tout le système. Nous savons qu'il y aura un tirage, nous en ignorons la date et le numéro gagnant. Pas plus que par le passé, aucun réformisme n'empêchera la marche à un conflit, sinon planétaire, en tout cas plus que régional. On s'apercevra alors que la contrainte si répétée aujourd'hui du "zéro mort" ne valait en 1999 que pour justifier une guerre limitée. L'offensive anti-serbe n'était pas un futur conflit majeur en réduction. Une guerre entre grands impérialismes ne restera ni "invisible" ni indolore aux habitants de Berlin ou de La Haye.

Cependant, les entreprises font des affaires, non la politique. Aucune main invisible ne jette ces dès-là: seuls les Etats déclenchent et mènent des conflits. Aucune guerre n'a lieu pour écouler les stocks des marchands de missiles. Les armes ne font pas la guerre. Si 39-45 a contribué à résoudre la crise de 29, celle-ci ne suffisait pas à provoquer un chaos militaire mondial. L'économie d'armement a redressé une situation que le New Deal avait surtout rétablie sur le plan social, mais un capitalisme américain terrassé aurait été incapable de l'effort industriel fourni après 1940.

Il n'existe pas non plus aujourd'hui de lien direct entre les convulsions économiques et l'attaque contre la Serbie. Jamais une guerre n'a lieu pour pallier un déficit de rentabilité, quoiqu'elle aide à le résoudre. Malgré sa fonction économique, elle reste un acte politique. Les contradictions entre capitaux, et donc entre Etats ou alliances, fournissent la bombe, non son détonateur. Avant qu'une dynamique impersonnelle de concurrence finisse en conflagration, il faut une conjonction de chocs en tous sens, la plupart contraires à la signification historique du futur conflit. Août 14 a surgi d'un sursaut d'archaïsmes menacés qui vont précipiter leur faillite.          

La distinction agresseur/agressé éclaire le point d'éclatement d'un conflit, non sa cause ou sa logique. L'identité du coupable peut bien intéresser le policier, et celle du "fauteur de guerre" le juge international. Mais que nous apprend le nom de celui qui a tiré le premier ? En 1914, les socialistes serbes refusèrent de défendre la petite Serbie agressée par le vaste empire austro-hongrois et, en tant que parti, furent avec les bolchéviks les seuls à repousser l'Union Sacrée. Petit ou grand, chaque Etat un jour attaque, un autre se défend ou, s'il est "neutre" comme la Suisse, penche pour un camp selon ses intérêts. David finit toujours en Goliath d'un autre David plus faible que lui.

La paix des nations n'est nullement un bien à préserver contre ses perturbateurs. D'abord, elle repose sur des affrontements antérieurs et des conquêtes, - équilibre lui-même cause de déséquilibres et de futurs affrontements armés. Ensuite, toute paix signifie ordre social, exploitation douce et féroce, conciliation de gré ou de force des luttes de classe: si démocratique soit-elle, elle comprime des contradictions qui un jour exploseront pour rebondir sur d'autres Etats et leurs populations. Les tueries serbes au Kosovo supposaient une Union Sacrée à Belgrade, de même les Belgradois bombardés ont payé le prix de la paix sociale dans les pays otaniens, dont on invite Parisiens, Londoniens et New Yorkais à se féliciter.

Dans la réalité, aucune police étasunienne ne résorbera les antagonismes d'où résultent les guerres. Mais l'idéal d'une prévention assez efficace pour éviter de réprimer les conflits enfonce dans les têtes le pacifisme social, désarme plus encore toute contestation, et prépare de futurs massacres. Il est de bon ton de déplorer que la SDN n'ait pas eu les armes de sa politique. Elles existent aujourd'hui: F-117 et Tomahawk. Ceux qui appellent de leurs voeux une "police citoyenne" se réjouissent logiquement de l'existence d'une police internationale, regrettant seulement qu'elle se trompe de cible. Peut-être s'étonnent-ils que le FBI ait décimé les Black Panthers, tandis que la mafia prospère. L'unification (contradictoire et régulièrement remise en cause) du capital au 20e siècle a engendré le funèbre et fumigène ONU, lequel couvrit l'action de l'impérialisme américain contre son rival chinois en Corée, puis contre l'Irak, envoya ses contingents babéliques gérer le dépeçage de la Bosnie, et aujourd'hui pacifie les Kosovars.

4. LE MOUVEMENT SOCIAL CONTINUE-T-IL PENDANT LA GUERRE ?

Dans l'effondrement de la IIème Internationale en 1914, le pire n'était pas le social-chauvinisme. Si infâme soit-elle, la haine du Boche ou du Russe est une réaction affective, dont la terrible efficacité n'a qu'un temps. Plus dévastatrice fut l'attitude de ceux qui présentaient la guerre non comme réalité positive, mais comme parenthèse malheureuse et inévitable, après laquelle la lutte pour le socialisme reprendrait ses droits: mieux que la propagande patriotique, une telle solution de continuité détruisait les esprits, car elle sortait la guerre de l'histoire, la coupant des logiques socio-politiques qui y avaient conduit.

Face à cette mutilation mentale, la première résistance est de restaurer une critique unitaire du monde: au lieu de tout considérer à l'aveuglante lumière des explosions, penser la déflagration à partir de l'ensemble.

En 1949, Socialisme ou Barbarie montrait comment le prolétaire, au front et à l'arrière, vit une contradiction identique. Parce qu'il manie les instruments de production, il peut les retourner contre l'exploitation. Parce qu'il manie les instruments de destruction, il peut aussi retourner ceux-ci, et plus qu'au temps où quelques artisans fabriquaient l'armure et l'épée du chevalier.

"C'est parce que la guerre emprunte à la paix les contradictions formidables des régimes modernes d'exploitation du prolétariat que les contradictions de la guerre prennent une ampleur telle qu'elles terrifient les classes dirigeantes elles-mêmes." (SoB, n°3, 1949)

Cinquante ans après, l'armée dépend plus encore d'un complexe technique global. La professionnalisation en fait un puzzle disjoint si une pièce y manque.

Entre paix et guerre, il n'y a pas de solution de continuité. L'histoire est une, comme le confirme l'état étrange qui frappe la plupart des sociétés le jour où la guerre éclate. L'horreur attendue pousse rarement à réagir davantage contre ce que l'on acceptait la veille, et plutôt moins: le choc initial impose le conflit comme une évidence qui ne se dissipera, peut-être, qu'avec des revers militaires ultérieurs.

Le mouvement ouvrier ne s'est pas effondré en 1914: la chute dans la guerre rendait visible ce que le socialisme était devenu depuis longtemps : national. L'extension mondiale du capitalisme n'avait et n'a pas détaché les prolétaires de la patrie. Mais ne renversons pas la causalité: c'est parce qu'ils se sont dressés le plus souvent en tant que travail, donc en tant que travail dans le capital, qu'ils sont restés liés au cadre capitaliste: l'Etat-nation.

"(..) une nouvelle société est en train de naître, dont la règle internationale sera la Paix, parce que dans chaque nation règnera le même principe: le travail !" (Première Adresse de l'Association Internationale des Travailleurs, 23 juillet 1870) (Les bourgeois se revendiquaient du même principe, y ajoutant seulement son autre volet: le commerce.)

Les réactions encore moindres en 1999 que lors de la guerre contre l'Irak en 1990-91 reflètent un mouvement social enlisé depuis quinze ou vingt ans. Les résistances du travail s'épuisent. La critique de « l'argent roi » aboutit à exiger qu’il soit mieux réparti. La dénonciation du capitalisme le réduit aux marchés financiers. Partout la faillite des fausses solutions (pays socialistes, tiers-mondisme, mythologies révolutionnaires, etc.) fait apparaître le capital comme la seule vraie. S'il n'y a plus d'"ailleurs", comment refuser la guerre menée par une société qui ne passe même plus pour bonne ou mauvaise, mais pour l’unique possible ?

L'englobement des prolétaires dans la civilisation moderne s'accompagne d'une large adhésion à ses idéaux. Partisan de la conciliation des conflits, le pacifiste social est paralysé devant une guerre menée pour la paix. Or, depuis 1945, elles le sont toutes. Quel Etat oserait guerroyer pour ses seuls intérêts, pour la conquête ? Après avoir défendu la liberté en Corée (1950), évité le fascisme à Budapest (1956) puis le retour des bourgeois à Prague (1968) et des féodaux à Kaboul (1979), protégé des minorités au Liban (1982), rétabli le régime parlementaire à la Grenade (1983), combattu la drogue au Panama (1989), restauré l'indépendance d'un petit pays (Koweit, 1990), nourri des affamés en Somalie (1992), empêché en Bosnie (1992) un crime contre l'humanité (déjà advenu..), il était naturel que les grandes puissances fassent la guerre à la Serbie pour y rétablir la paix, et tuent dix êtres humains à Belgrade pour en sauver mille à Pristina. Il est d'autant plus difficile aux prolétaires de résister au démo-pacifisme, sous ses multiples variantes de droite comme de gauche, qu'ils ont goûté à toutes. Chaque fois que la guerre a été faite au nom du peuple, du socialisme ou des droits de l'homme, une part non négligeable des salariés s'y est ralliée. Alors, au lieu de saisir l'unité du militaire et de l'humanitaire, beaucoup rêvent du second sans le premier.         

Nous venons d'assister à la fin d'un anti-militarisme spontané, souvent superficiel mais de bon aloi, pour lequel l'armée incarnait ce que notre monde représente de plus détestable. L'idée que rien de bon ne peut sortir de ce qui marche au pas est désormais jugée simpliste, ringarde. Pour la première fois, une part non négligeable de la jeunesse adhère au rôle positif de la chose militaire, même si celle-ci vient d'outre-Atlantique.

A rebours, l'anti-américanisme représente la dernière chance d'une critique déboussolée, l'ultime refuge avant la résignation (tout comme l'hostilité à Le Pen serait preuve de radicalité). Ce nouveau socialisme des imbéciles peut bien applaudir au saccage d'un Mc Do: l'Amérique, il l'a déjà, y compris dans sa tête, puisqu'il croit à la politique moralisée, à la vitesse, à la technique émancipatrice, et déteste Disneyland mais s'extasie au Futuroscope.

Dénoncer "l'impérialisme", yankee en particulier, est un exercice facile, surtout si l'on entend par là un grand et fort pays assaillant un petit. Pour les partisans de l'OTAN, le géant serbe surarmé massacrait des Kosovars aux mains nues. Pour leurs adversaires, la coalition des Etats-Unis et de l'Union Européenne était un mastodonte face à la minuscule Serbie.

D'autres, il est vrai, condamnent chaque Etat en particulier et... en appellent à tous, exigeant une instance enfin capable de faire respecter le droit des gens. Mais qui incarnera cette communauté universelle, qui s'ingérera, qui animera ce comité transnational d'éthique, sinon quelque ONU, Conseil d'Administration de toutes les puissances du monde ? Expliquez-nous en quoi un super-Etat, s'il existait, vaudrait mieux que la totalité des Etats dont il émanerait. 

Approuvée ou stigmatisée, en tout cas, la guerre a mauvaise presse. En l'an 2000, le discours de la guerre larmoie. Même les bellicistes y vont à regret. Cette unanimité pleureuse fait oublier de quelle pâte sociale la guerre est modelée. Parce qu'elle incorpore tant d'énergies et de contradictions, elle peut aussi user un régime, affaiblir ses couches dirigeantes. C'est ce risque que déplorent tous les porte-parole. Laissons l'incendiaire condamner la pyromanie. Villes et campagnes ravagées, morts, blessés, réfugiés et maltraités par millions... d'un tel chaos, nous le savons, n'importe quoi peut surgir, de nouvelles dictatures comme un réveil révolutionnaire. Mais nous savons aussi que le vieux monde traite de "chaos" tout débordement qui le menace. Pas de révolution sans une dose d'"anarchie": la formule n'est pas de Bakounine, mais de Marx.

La perspective révolutionnaire apprécie petits et grands maux de cette société sur une échelle historique différente de celle du progressisme. La fermeture d'une usine, seulement synonyme de malheur accru aux yeux du militant, est perceptible comme la secousse d'un système qui, peut-être, verra ses actuelles "victimes" se dresser contre lui. De même la guerre, que l'humanisme réduit à une catastrophe, implique un risque pour des apprentis sorciers forcés de constater, en 1871, en 1905, en 1917, au printemps 1943 dans l'armée italienne, comme lors de l'escalade vietnamienne, que la violence projetée hors des frontières pouvait rebondir à l'intérieur et ouvrir un nouveau "front" - social.

Comme l'écrivait un Russe à sa maîtresse le 25 juillet 1914, deux jours après l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie:

"Tous mes voeux pour la révolution qui commence en Russie !"

Les Etats en sont conscients, qui, lors de l'offensive terrestre contre l'Irak, face à une désertion massive chez l'ennemi et des révoltes au sud et au nord du pays, ont tout fait pour empêcher la transformation en guerre civile d'une des plus grandes mutineries des temps modernes. C'est alors la paix - la sortie de crise - qui devient la continuation de la guerre par d'autres moyens.

Il est absurde de tout faire pour "éviter" la guerre, laquelle (locale ou généralisée) est inévitable sous la domination capitaliste. A la menace régulièrement brandie d'apocalypse imminente (comme si le but des conflits était de tout anéantir !), à ce chantage qui toujours renforce les dominants, on ne peut que répondre: même si, comme il est fort possible, une guerre dévastatrice devait éclater un jour dans les zones les plus industrialisées, s'il n'y avait donc pas auparavant de crise révolutionnaire victorieuse, toute perspective humaine - communiste - n'en serait pas pour autant exclue.

5. QUEL AVENIR POUR L'ETAT-NATION À PRISTINA ? ET À BELGRADE ?

On ne naît pas Serbe, on le devient. De même, "Tutsi" et "Hutu" désignaient autant des catégories sociales qu'une naissance.

Fait historique récent, la nation dépasse la famille, le clan, l'ethnie, mais les reconnaît puisqu'elle prétend les concilier: chaque variante nationale dose à sa façon sang et sol. Les démocraties pratiquent l'"ethnisme" qu'elles condamnent: elles se sont émues en 1999 qu'au Kosovo une minorité serbe impose sa loi à 90% de la population, mais s'accommodaient quelques années plus tôt du découpage bosniaque, parce qu'il leur était acceptable de voir des "Serbes" s'emparer de régions "serbes".

Tout Etat national se constitue sur une base "ethnique" (le pluri-ethnisme relève encore de l'ethnicité), et par la force brutale. Nul n'ignore l'intégration sanglante des Occitans à la France, le sort des Indiens d'Amérique, les transferts croisés de populations grecques et turques après 1918. Le rejet mou ne s'avère pas moins contraignant: un germanophone de la Volga a toutes facilités de devenir citoyen allemand; l'individu d'origine turque né à Berlin, quelle que soit sa maîtrise de la langue de Goethe, ne le pourra quasiment jamais.

Conservateurs et réformateurs discutent pour savoir quel contenu donner aux entités "France", "Algérie", "Vietnam"..., qui y admettre, qui en retrancher, comment ouvrir toujours davantage l'espace national-étatique ou au contraire le refermer, où situer la démarcation, que faire des sous-ensembles "corse", "kabyle", "sino-vietnamien"...

Que dire dans ce débat, sinon notre refus de toute identité ?

Au départ, une réalité démographique: la population, quoique souvent une telle donnée échappe si, comme en Afrique, des groupes traversent périodiquement les frontières. Sur cette base, l'histoire humaine - inhumaine - a posé une réalité bien différente: le "peuple", fondé sur une inclusion et donc sur l'exclusion. Quels que soient les critères retenus (langue, passé ou présent commun, sang ou sol), ils distinguent forcément un dedans d'un dehors. Reconnaître "Français" tout individu résidant en France, c'est encore séparer une "France" d'une "Allemagne", d'une "Espagne"... Si généreuse soit-elle, la définition délimitera toujours un groupe face à d'autres, y compris dans le cas d'une éventuelle nation européenne.

L'erreur des révolutionnaires avant 1914 fut de ne pas prendre l'inter-nationalisme socialiste au pied de la lettre: le programme de Jaurès, Guesde, Kautsky, Bernstein, Bebel, etc., était bien une union des nations. C'est pourquoi le mot d'ordre ambigu des "Etats-Unis d'Europe", lancé par Trotsky en 1917, perd toute ambiguïté quand il est repris en juillet 1999 dans Le Monde Diplomatique.

L'institution étatique n'est pas un simple "monstre froid", mais une communauté vécue, même fallacieuse, même fabriquée. Sinon, elle se réduirait à un appareil administratif inapte à se nourrir des énergies de sa population. De façon différente à Londres et à Reykjavik, l'Etat moderne existe toujours comme parasite et excroissance d'une communauté.

Jusqu'à l'unification marchande et étatique, dirigeants et dominés ignoraient les uns et les autres la nationalité. Au 17e siècle, le Grand Condé vainc l'Espagne à Rocroi, combat ensuite dans l'armée espagnole, sert de nouveau le roi de France, sans sentiment de trahir un pays, parce que sa fidélité va d’abord à un prince. Puis l'Etat-nation s'impose comme cadre de la dynamique capitaliste, et spatialise l'économie: territoire circonscrit, marché intérieur, réseau commercial et salarial, équilibre entre l'autorité centrale et une concurrence à la fois économique (entreprises) et politique (démocratie). Il n'existe pas de capitalisme "hors sol": les exceptions, la cité-Etat de Singapour par exemple, ne seront jamais des pôles dirigeants. Là où l'unification ne peut s'opérer ou, comme en Belgique, n'opère plus, fleurissent communautarisme, ethnisme, mafia. 

Après 14-18, les bourgeoisies slovène et croate entrent dans un cadre yougoslave pourtant dominé par la Serbie, parce qu'il leur offre une protection contre leurs voisines autrichienne, allemande et italienne, et un bouclier contre la Hongrie en révolution. L'Etat attend 1921 - recul définitif de la menace sociale - pour s'affirmer unitaire au mépris des minorités, et recourir à une répression permanente, à l'aide de miliciens qui n'étaient guère des militants ou des partisans, plutôt les auxiliaires para-militaires d'un pouvoir incapable de régner autrement dans des régions où il avait perdu toute légitimité.

Parallèlement, après 1920 et l'avortement de la Fédération Communiste du Balkan-Danube - unissant les PC bulgare, yougoslave, roumain, grec et turc -, le jeune PC de Yougoslavie ne tardera pas à se découper en sections serbe, croate... nationales, bientôt nationalistes, chacune ballottée entre "sa" bourgeoisie et les alliances fluctuantes de l'URSS. Ainsi mourait une tradition internationaliste opposée aux guerres de libération, tradition présente jusque chez les députés socialistes aux parlements serbe et bulgare en 1912.

Une nation yougoslave (composée de "nationalités" reconnues) redeviendra viable après 1945 en tant que cadre d'un capitalisme d'Etat, là encore contre une menace extérieure (russe, cette fois), et pour mettre au travail les prolétaires. C'est le ciment de l'accumulation du capital, non une heureuse formule politique ("Une Serbie faible pour une Yougoslavie forte", disait Tito), qui a fait tenir la Yougoslavie reconstituée. L'unité plus ou moins réalisée entre les classes dans chaque république faisait ainsi l'unité de l'Etat fédéral.

Quelques décennies plus tard, quand la dynamique s'inverse, quand les produits yougoslaves s'avèrent de moins en moins compétitifs, chaque république, qui commerce plus hors des frontières fédérales qu'avec ses voisines, s'avise qu'elle fabrique des marchandises "slovènes" ou "croates", et remet en cause un lien qui ne correspond plus à aucune unité socio-économique. La dissolution ultérieure ne fera pas émerger de bourgeoisies micro-nationales. Seules les régions déjà liées à l'extérieur, la Slovénie notamment, s'intègrent à un ensemble dynamique, et avant tout à l'aire d’influence allemande. Les autres se replient sur elles-mêmes, et leur économie s'organise en monopoles, en fiefs, tournant plus encore le dos à la concurrence mondiale.

Après 1945, pendant quarante ans, des "Yougoslaves" ont coexisté tant bien que mal. Puis l'effacement du capitalisme d'Etat devant les lois marchandes a fait entrer certaines républiques dans le cercle commercial et salarial, suscitant ailleurs un sous-développement, et libérant les poussées sociales contenues par la dictature titiste. Si aujourd'hui le "Slovène" n'éprouve pas plus le besoin d'affirmer un nationalisme agressif que l'Ecossais vis-à-vis de l'Anglais, alors que le "Serbe" découvre son voisin de toujours "croate" ou "albanais" comme une menace, c'est parce que la "Slovénie" offre une perspective à ses habitants par l'accès à la production et la consommation mondiales, alors que la "Serbie" peine à transformer son espace géographique en ensemble économique.

"(..) les habitants de la Bosnie ne se sont pas jetés les uns sur les autres pour des massacres ubiquistes et anarchiques. On se bat fort méthodiquement, dans cette République, pour contrôler des territoires, des carrefours, des ports, des usines d'armement, pour créer des corridors entre des enclaves." (M.Roux, Hérodote, n°67, 1992)

Milosevic canalise le mécontentement de laissés-pour-compte, et la haine remontée d'eaux ancestrales y est puisée par le monde moderne. Ce n'est pas la défaite serbe au Champ des Merles en 1389 qui détermine l'actuelle politique de Belgrade, mais la situation six cents ans après cette bataille qui reconstruit une mémoire, et d'un passé fait son présent.

6. POURQUOI LE MÊME PAYS PRODUIT-IL À LA FOIS TANT DE DÉSERTEURS ET DE PURIFICATEURS ETHNIQUES ?

Le démagogue, c'est l'autre. Que d'articles ne lit-on pas à Paris sur les manipulations nationalistes... à Belgrade. Ce que la presse occidentale réduit à une rhétorique appuyée sur la police, est d'abord phénomène politique et social.

A l'approche de l'an 2000, la Serbie vit une des dernières formes de "capitalisme d'Etat". Un Etat, parce que médiation, est incapable de donner naissance à un système de production. Mais, comme pendant soixante-dix ans en Russie, il peut monopoliser la croissance industrielle, organiser l'autarcie en limitant les échanges extérieurs au strict nécessaire, supprimer la concurrence politique et brimer la concurrence économique, réglementer autoritairement le travail, tout en garantissant à l'usine comme aux champs l'emploi à vie (même peu productif) et un minimum de services sociaux. Le capitalisme de caserne ignore le "chômeur" et le "mendiant", puisqu'il les garde entre ses murs. Cet Etat répartit les biens inégalitairement, mais n'oublie personne.

La force – et la faiblesse - d'un tel système est de réduire le coût de production en contrôlant tout, travail, investissements, prix.., maintenant ainsi une basse rentabilité, par manque de stimulation à accroître le rendement du travail comme des équipements. Faussant la concurrence, et donc la tendance inhérente au capital à diminuer les coûts, à produire plus de valeur avec moins, ce modèle tient tant qu'il reste à l'écart du marché mondial, et qu'il tente de fonctionner comme s'il s'agissait de volume: produire beaucoup et plus d'acier, de locomotives ou de chaussures, alors qu'il s'agit de valoriser un capital.

Parce que le régime bureaucratique de l'ex-Yougoslavie était ouvert aux pressions mercantiles intérieures et étrangères, il a subi la conjonction de la crise du capitalisme de marché et de la crise du capitalisme d'Etat. La vente sur le marché mondial de produits agricoles et industriels fabriqués grâce aux machines achetées à l'Ouest avait longtemps permis de transformer en ouvriers nombre d'ex-paysans, de payer le pétrole russe, de fonder des entreprises, et de mettre un pied dans la société de consommation. Mais, faute de productivité suffisante face à une féroce concurrence extérieure, plusieurs années avant son éclatement, le pays ne vendait déjà plus assez ni dans des conditions assez rentables pour rembourser les emprunts internationaux qui finançaient son expansion. Comme dans le bloc de l'Est, il ne restait plus aux régions les plus productives (la Slovénie, la Croatie dans une mesure moindre) qu'à se dissocier d'un ensemble qui les bridait.

En ne se réformant pas dans un sens capitaliste (c’est-à-dire en ne baissant pas ses coûts de production, ni en donnant au marché un rôle accru), la Serbie, elle, se coupait des zones dynamiques, ou ne pouvait cohabiter avec elles que par l'affrontement. Ce faisant, elle tentait d'acheter chez elle une paix sociale, à la façon des pays de l'Est avant 1989: ne pas rationaliser, ne pas contraindre le travail à une meilleure productivité, répondait aux fortes poussées revendicatives, et soudait une identité "serbe". S'il rappelait les régimes fascistes d'avant-guerre, un tel expansionnisme revivifiait le compromis "à la stalinienne", comme le montre la chronologie.

La Yougoslavie secouée en 68 par une vague de grèves et de révoltes étudiantes n'appartient pas au "tiers-monde", mais à la modernité. Auparavant, Tito, précédant de vingt ans la France ou l'Italie, s'était même fait le promoteur de l'"autogestion" (lire: autonomie du directeur de l'entreprise, et droit des délégués du personnel à consulter le livre de comptes), aux applaudissements de la gauche européenne. Moins impressionnés, dans les années 60, les ouvriers avaient multiplié les grèves, et le régime répliqué par la répression, par des concessions, mais aussi en 1974 par une réforme constitutionnelle, sorte de charte du travail démocratico-corporative: sur la base de 35.000 "Organisations de Base du Travail Associé", le mariage capital-travail devint une institution, et l'arbitrage des conflits une règle. A la même époque, de Gaulle parlait de "participation", CFDT et gauchisme découvraient à leur tour l'autogestion, et Volvo faisait signer le moteur par l'équipe qui l'avait fabriqué.

Mais Titograd était moins bien placé que Stockholm dans la division mondiale du travail. En 1976, de nouvelles grèves massives contre la baisse des salaires, et le boycott des augmentations de tarif du gaz et de l'électricité, ont raison de la démocratie sociale titiste. Fermetures d'usines et rationalisations relancent en 1986 grèves et batailles de rue, conclues par des hausses de salaires et un gel des prix, tandis que l'écart se creuse entre les républiques.

En 1987-88, la Yougoslavie atteint le record européen d'heures de grève, et Belgrade décrète l'état d'urgence.

Un an après l'accès de Milosevic au pouvoir (1987), le parlement belgradois est occupé par 5000 grévistes serbes et croates. Entre 86 et 88, de très nombreuses grèves sauvages, souvent anti-syndicales, secouent Croatie, Serbie et Monténégro, et amorcent une solidarité inter-régionale. Des émeutes conduisent à la démission du gouvernement monténégrin en 88, puis fédéral l'année suivante. Mais cet ample mouvement ne dépasse pas plus le stade défensif "dur" que ses homologues occidentaux dix ou quinze ans plus tôt.

Les actions contre "la privatisation" sont alors intégrées à une perspective nationale (de même, en France, la résistance à la mercantilisation de la Poste se détourne en défense du "service public"). Des groupes nationalistes prennent le contrôle, voire l'initiative de cortèges ouvriers. Même le mot d'ordre "Contre l'Etat" est retourné en slogan hostile à l'Etat croate, ou fédéral. Dès lors les mesures d'austérité du gouvernement Markovic peuvent être qualifiées d'"anti-serbes", puisqu'on assimile les salariés au peuple, et celui-ci à la nation. Milosevic doit sa victoire électorale à la promesse - en partie tenue - de relever les salaires et les retraites. A la même époque, la Croatie exclut les ouvriers non-croates, constituant ainsi le travail en bloc national. Les grèves trans-régionales qui éclatent en 1990 jettent les derniers feux d'une lutte collective dépassant le cadre local.

Il n'empêche, en mars 1991, quatre mois avant le début de la guerre, à l'issue d'une manif contre le contrôle gouvernemental des médias et de la mort d'un ouvrier tué par la police, les rues de Belgrade se transforment pendant une semaine en forum permanent, mêlant les mécontentements de salariés non payés depuis des mois, de lycéens, de classes moyennes, d'intellectuels -- opposition hélas sans autre unité que son existence. Le mois suivant, un tiers des ouvriers (700.OOO personnes) cessent le travail pendant dix jours.  

Pour qu'une option réformiste, modérée, à la Vaclav Havel, ou sur le mode polonais, émerge de cette société civile, encore fallait-il des possibilités de réforme, donc un avenir même modeste offert à un capitalisme démocratique serbe. Le marché mondial, autant que la résistance ouvrière, le lui interdisaient. La seule issue était alors, soit révolutionnaire (solution actuellement exclue !), soit nationaliste, mais en ce cas enrobée de démagogie populaire et sociale. La rhétorique de Milosevic n'est jamais loin de la "nation prolétaire" chère à Mussolini.

Ce nationalisme de pauvre établit un compromis social sur une base productive limitée, et lie le faible au faible: il associe une classe dirigeante unie non par son dynamisme économique mais par les fiefs qu'elle partage, à des couches populaires qui, faute de promotion sociale par l'accès de leur pays au rang de puissance, ne peuvent prétendre qu'à une place de colon par expulsion des non-Serbes de l'espace auparavant croate, bosniaque ou kosovar.  

Si l'on tient absolument à comparer Milosevic à Hitler, il faudrait imaginer un régime nazi, en 1939, "tenant" l'Allemagne plus grâce aux SA que par des organes étatiques efficaces, dont l'industrie d'armement ne permettrait que d'attaquer la Pologne, et incapable d'empêcher les déserteurs de filer en masse à l'étranger.

D'un côté, l'acharnement épurateur de la police militarisée et des milices; de l'autre, un énorme pourcentage de déserteurs, dès 1991, dont la défection fut une cause majeure de l'échec militaire contre la Slovénie (50% d'insoumis, dit-on). Deux jours après le déclenchement de la guerre, des manifestants hostiles au conflit envahissaient le parlement.

Contrairement à Hitler profitant du rattachement des Sudètes pour s'emparer de toute la Tchécoslovaquie, Milosevic n'a jamais projeté d'envahir ses voisins. La "Grande Serbie" est un slogan, non un programme. Milosevic a tout fait pour maintenir la fédération yougoslave en y renforçant son influence, en "serbisant" les régions croate et bosniaque: la dislocation de la Yougoslavie équivalait pour lui à une défaite. L'expansionnisme serbe ambitionne de regrouper les "Serbes" partout où ils existent, non d'étendre hors de l'espace dit serbe une conquête qui ne pourrait recevoir de contenu. L'objectif n'est plus, comme après 1918, de dominer ce que fut la Yougoslavie, mais de consolider la « serbitude », base d'un compromis de classe fragile, car contradictoire avec la dynamique mondiale du capital.

Les formes de la guerre en découlaient. Le long siège de Sarajevo visait à éliminer un lieu "multi-ethnique", refuge de  déserteurs serbes et croates, menaçant donc doublement ce qui fonde la politique de Belgrade. A l'été 91, Vukovar fut détruit sous l'action parallèle des deux camps, serbe et croate. Tudjman a peu ravitaillé en armes cette ville ouvrière militante rétive à la ségrégation, et des Croates ont été fusillés pour refus de se battre aux côtés de "leur" peuple. Après que les Monténégrins aient été nombreux à déserter, l'armée fédérale (serbe) qui les incorporait leur a fait attaquer des cibles plus accessibles, Dubrovnik par exemple (1991). Mieux, après la mutinerie de 7000 réservistes serbes, toute une garnison fut exemptée, et les rebelles seulement punis par leur inscription sur une liste noire. L'Etat obligé de céder ainsi ne ressemble ni à une dictature militaire, ni à une démocratie en guerre. En France comme en Allemagne, on le sait, août 14 donna lieu à très peu d'insoumissions.       

Même les "Serbes" bosniaques renâclent. En 1993, plusieurs unités serbes s'emparent de Banja Luka, principale ville de la République Serbe de Bosnie, bloquant la machine militaire, exigeant une solde supérieure, et dénonçant les profiteurs de guerre, dont le maire, que les mutins mettent en état d'arrestation. Tout se termine quelques jours plus tard par des négociations et une solde améliorée.

En 1993-94, mineurs et cheminots serbes, de nouveau en grève, obtiennent quelques concessions. Depuis, le compromis de classe perdure. Les paysans petits propriétaires bénéficient de prix garantis. S'ils attendent la paie des mois comme en Russie, les salariés sont sûrs de leur emploi: chaque année le gouvernement annonce et retarde les privatisations. L'ennemi du régime est sa classe ouvrière: pour cette raison, il s'efforce d'en faire une alliée.

Le délitement de l'armée s'est répété en 1999, notamment à Kraljevo, en Serbie centrale, où des réservistes mutinés bloquent le pont de la ville, exigeant leur solde qu'ils obtiennent au bout de deux jours. A Kruvesac, un millier de réservistes expédiés au Kosovo et... revenus chez eux manifestent dans les rues et finissent par accepter de rendre leurs armes aux autorités. Il est plus facile de faire assassiner un chef de l'opposition que de maîtriser les convulsions d'un pays souvent proche de la guerre civile.

Face à une telle menace, le comportement de l'OTAN rappelle celui des Etats-Unis contre l'Irak en 1991. L'OTAN voulait faire céder un gouvernement ennemi, mais tout autant craignait une explosion sociale, d'où l'insistance à bombarder les civils, soit pour les terroriser, soit pour favoriser une union nationale moins dangereuse que le désordre.

 7. L' U.C.K. ?

Aucun découpage territorial n'est définitif. Tant qu'il vivra, le capitalisme favorisera, détruira et recomposera des Etats. Depuis deux siècles, le fait national est l'enjeu de manipulations en tous sens, chaque despote pouvant prétendre défendre un peuple ou une minorité opprimée. Dans une zone vitale pour les grandes puissances, il n'y a d'entité étatique qu'établie ou défaite par le capital. Les Kurdes auraient une chance de fonder un Etat si un pouvoir indépendant gérant l'exploitation pétrolière au nord de l'Irak répondait aux intérêts des pays producteurs et des grandes sociétés. Les Kosovars obtiendront le leur si cela convient, non à la Serbie ou à l'Albanie, mais aux premières puissances mondiales. Là où il le faut, des protectorats renaissent comme au vieux temps. (Mais en était-on sortis ? Notre monde est né fin 19e, dans ses formes politiques comme dans ses idéologies.) La République Serbe de Bosnie, loin d'être une annexe de Belgrade, survit sous contrôle européen, et le mark devient monnaie officielle au Kosovo.

Il est intéressant que la coalition capitaliste la plus forte du monde frappe au point de rencontre d'un nationalisme serbe nourri de révoltes défaites, et d'un autre mouvement national, kosovar, lequel a éteint les dernières braises de l'insurrection qui enflamma l'Albanie deux ans plus tôt. Loin de prouver la naïveté d'un peuple précipité de l'arriération dans la modernité, les pyramides financières à l'origine des émeutes de 1997 illustrent bien la charlatanerie d'un capital qui se voudrait toujours au-delà de lui-même, en échappement libre: l'habitant de Tirana en a seulement fait les frais avant celui de Brighton ou de Potsdam.

Le conflit entre les républiques yougoslaves ne portait pas sur des idéaux ou des droits nationaux, le libre usage de la langue par exemple, mais sur des enjeux capitalistes: répartition des crédits fédéraux, législation commerciale, introduction du marché... Il s'agissait ni plus ni moins de transfert de valeur entre républiques, donc en dernière analyse entre capital et travail. Seul le Kosovo subissait une situation coloniale, et l'oppression qui l'accompagne.

En 1987, les mineurs grévistes du Kosovo défilent en brandissant des portraits de Tito, symbole d'un cadre fédéral accordant aux minorités des droits minimaux mais garantis, jusque-là inclus dans le pacte social assurant tant bien que mal l'unité entre les classes, donc le maintien de l'entité yougoslave. En prenant le pouvoir la même année, Milosevic incarne la fin d'une introuvable conciliation: incapables de se reconvertir en néo-bourgeois, les bureaucrates adoptent un visage nationaliste, et à l'instar des fascistes "naturalisent" la politique.

En février 1988, le Kosovo répond par une grève générale et des émeutes à une mainmise serbe accrue sur la région. Faute d'une solidarité en Serbie et dans les autres républiques, la grève générale, moyen de lutte ouvrière et de résistance à l'Etat, mue en affirmation d'un peuple.

L'année suivante, dans les mines de plomb et de zinc de Trepca, le personnel albanophone est chassé des corons et remplacé par des Serbes. Pratique courante en Amérique et dans le tiers-monde, le recours patronal massif aux briseurs de grèves s'aggravait d'une coloration nationale. La lutte de classe persistait, mais des deux côtés, "serbe" et "albanais", la classe fondait dans le peuple. Il n'existe pas de cloison étanche entre fait national et mouvement social: l'identité, comme mythe et force politique, vit de l'oppression bien réelle d'un groupe par un autre.

Début 1997, dans tout le sud de l'Albanie, mis en branle par la déconfiture des pyramides spéculatives, des insurgés s'emparent de villes, pillent les armureries, dispersent l'autorité légale, avant que le mouvement s'épuise faute de perspectives, étouffé sous l'action des milices, du clanisme et des classes dirigeantes locales. A l'époque, déjà, se met en place un corps expéditionnaire humanitaire international, dont l'oeuvre - mis à part son poids psychologique sur les révoltés - consista à trier et refouler des réfugiés. Quand War is Peace, "force de paix" signifie "police", avec pour mission de rétablir un Etat affaibli.

Les soulèvements albanais de 1997 cassaient - provisoirement - une dynamique politique à l'oeuvre dans beaucoup d'anciens pays de l'Est, où les réactions spontanées à l'économie de marché ont été prises en charge par les ex-bureaucrates recyclés en parti du mécontentement. Mais en 1998, à nouveau, les affrontements se sont polarisés entre solution franchement capitaliste et démagogie sociale, chacune plus "albanaise" que l'autre.

Un an plus tard, coincé entre l'assassin serbe et le protecteur otanien, ce qui pouvait subsister de révolte chez les habitants du Kosovo est noyé sous la politique démocratique (Rugovar) ou extrémiste (l'UCK).

On mesurera cette régression - infligée à la fois par l'action des plus grandes armées du globe et par l'inaction prolétarienne un peu partout - au sort d'une usine kosovar de batteries, remise en marche à l'initiative de l'UCK, malgré le manque de pièces et de clients (le principal était l'armée yougoslave). Le personnel, "albanisé" bien sûr, n'est pas payé mais, dit une salariée: "Maintenant nous sommes libres".  

Pendant ce temps, sous l'arbitrage peu impartial de la KFOR, UCK et Kosovars modérés se partagent la population. "Qui gère le maintien de l'ordre contrôle le territoire", prévenait un diplomate. "Première urgence: la police", déduit le quotidien français de référence. Laissons la conclusion à un porte-parole UCKiste: "Nous allons devenir une force de police."

 8. 1000 AVIONS DE COMBAT CONTRE UN PAYS DE 10 MILLIONS D'HABITANTS : EST-CE RATIONNEL ?

En 1982, était-il « rationnel » qu'un impérialisme déclinant expédie une armada au bout du monde pour récupérer quelques îlots de valeur économique nulle, et de peu d'importance stratégique ?  En se lançant dans l'aventure, Londres, et à travers elle l'Europe, contestait le mandat impérial de Washington sur le continent américain même, et tentait de réunir autour de l'Union Jack les prolos en révolte contre le thatchérisme.

L'Etat s'autonomise du socle qui lui donne naissance. Peu de partis représentent directement un groupe sociologique, et l'Etat le plus capitaliste ne se gère pas comme une entreprise. A l'été 1914, les empires continentaux n'imaginaient pas courir au suicide, et dans les semaines qui précédèrent l'embrasement, plus d'un politicien tenta d'enrayer le mécanisme. Les rivalités impérialistes du début du siècle, renforcées par le jeu des alliances, conduisaient à une conflagration gigantesque, mais ne livraient pas d'avance son lieu d'explosion, sa date, ni l'engrenage ultérieur. Il en va de même pour la montée aux extrêmes précédant 1939. Le passage de la paix à la guerre n'est ni fatal ni d'une pure rationalité économique. L'intérêt des dirigeants politiques n'est pas d'abord de promouvoir le capital, ni de sauver la bourgeoisie, mais de perdurer, et de se sauver eux-mêmes.  

L'Amérique n'a pas envoyé 500.000 GIs en Indochine pour y investir ses capitaux, et l'invasion russe de l'Afghanistan ne protégeait aucune source vitale de matières premières. Dans les deux cas, une intervention massive semblait capable de vaincre un adversaire qu'il semblait logique de  considérer comme militairement très inférieur. A travers lui,  l'objectif réel visait à consolider un empire - économique pour les EU, quasi-colonial pour l'URSS - contre le rival, à un coût initial jugé raisonnable. Le facteur politico-militaire s'autonomise si, comme ce fut le cas, le moyen devenant sa propre fin, l'expédition s'emballe dans une fuite en avant, renforçant la contestation interne dans la métropole. Il ne reste alors à l'Etat qu'à terminer le conflit aux moindres frais sociaux -- tentative réussie par Nixon et Kissinger, mais qui en Russie accéléra la faillite de la bureaucratie.  

En 1990, si l'Amérique a réuni une vaste coalition contre ce qui n'était évidemment pas la quatrième armée du monde, c'est qu'en réimposant son droit de regard sur la production pétrolière (dont l'Europe et le Japon dépendent plus encore que les Etats-Unis), elle affirmait sa capacité à contrôler l'économie mondiale. 1989-91 achève la liquidation du régime comme de l'empire stalinien, prouve le triomphe étasunien, et aboutit à la pire situation du point de vue révolutionnaire: le capital le plus dynamique socialement domine aussi stratégiquement. Entre la chute du Mur et le putsch raté des bureaucrates russes à l'été 91, la victoire américaine sur l'Irak, volontairement limitée sur le plan local (mieux vaut un dictateur que le désordre), était générale sur le plan mondial.

L'ONU, l'OTAN, l'Union Européenne, et chaque grande puissance en particulier, avaient laissé accomplir en Bosnie ce qu'elles ont dit ensuite vouloir empêcher au Kosovo. En quoi l'ethnicisation d'une province serbe de deux millions d'habitants menaçait-elle soudain leurs intérêts ? Certes, à quelques heures de route des métropoles européennes, un foyer de troubles ne saurait rester livré à lui-même. En outre, à la différence de la Bosnie, Kosovo et Albanie sont une porte entre l'Europe et l'Orient, proche des points de passage d'une marchandise particulière: le pétrole. Présent dans les guerres israélo-arabes, le conflit afghan, l'affrontement Iran-Irak, en Tchétchénie, dans les remous du Caucase, dans l'invasion irakienne du Koweit, l'enjeu pétrolier travaille indirectement les explosions des Balkans.

Mais le péril visait bien plus Rome ou Vienne que Cleveland ou Chicago et, contrairement à Hitler, Milosevic ne se préparait pas à avaler un continent. En revanche, les risques de déséquilibrer les pays limitrophes, et de favoriser une évolution agressive en Russie, étaient indéniables. Or, c'est le moins concerné, l'Amérique, qui joua une montée aux extrêmes, là où l'Europe aurait préféré circonscrire l'incendie, voire temporiser, avant d'entériner (casques bleus à l'appui, comme en Bosnie) un découpage du Kosovo, sans oublier de juger à la Haye quelques criminels de guerre ou contre l'humanité. Le souci de Bruxelles, c'était que l'implosion yougoslave ne devienne pas explosive de toute une région. Mais Bruxelles existe bien peu politiquement, et Washington a poussé à éteindre le feu à la dynamite.

Dans le passé, bien qu'ils n'aient provoqué ni 14-18 ni 39-45, les Etats-Unis ont mis à profit les embrasements du Vieux Continent pour s'imposer mondialement, moins en occupant des territoires qu'en étendant un mode de développement et de vie, faisant des deux conflits mondiaux une agression capitaliste contre l'Europe. En 1917, en réplique aux tentatives révolutionnaires, Wilson intervient au nom du droit des nations à disposer d'elles-mêmes. Contre les poussées sociales, la digue du droit. Contre le prolétariat, le peuple. Déjà l'Allemagne, puissance moderne comparée à la Russie et à l'Autriche, avait montré la voie: après 1914, elle oppose une armée finnoise aux troupes russes, accorde l'indépendance à la Pologne (russe), lève des contingents polonais et, pour désagrégrer l'empire tsariste, appuie une "Union des Nationalités".

Des alliés sont en même temps des rivaux, et chaque grande puissance s'efforce de déstabiliser sa voisine. En témoignent, en Indochine, le jeu des Américains contre la France après 1945, puis de De Gaulle contre les Américains lors de la deuxième guerre du Vietnam et, au Nicaragua, plus récemment, l'appui de l'Internationale Socialiste aux Sandinistes. En 1991, Bonn encourage les sécessions slovène et croate, tandis que Washington soutient l'unité fédérale; en 1992-95, l'Allemagne est pro-croate, et l'Amérique arme les Bosniaques. Si l'Europe et les Etats-Unis ont éprouvé ensuite un besoin commun de traiter l'abcès serbe, la première souhaitait le guérir, les seconds l'entretenir afin d'affaiblir un concurrent majeur. L'occasion était bonne pour l'Amérique d'exploiter une crise, d'embarquer l'Europe dans un conflit au moment où l'Euro tente ses premiers pas.

Mais si l' "Euroland" a si facilement cédé, c'est que ses intérêts à la fois convergent et rivalisent avec ceux de Washington. Par l'imbrication des capitaux, l'Amérique est en Europe et pèse sur ses politiques. Trop d'entreprises allemandes, britanniques, belges... ont des liens outre-Atlantique pour être totalement favorables à la constitution d'un ensemble "Europe". Alors que tarde l'harmonisation économique ouest-européenne (l'Angleterre demeure hors de la monnaie commune), les Etats-Unis sont un, le Vieux Continent divisé.       

Même en France, l'anti-américanisme d'une partie de la classe dirigeante, si bien exprimé par le gaullisme, relève plus du discours que de la réalité. Un développement autonome français, voire européen, ne peut résister aux multinationales contrôlées par Wall Street qu'en se mettant à leur école, en rationalisant capital et travail, en constituant des groupes puissants, de taille nationale, puis européenne, enfin mondiale, en entrant dans les participations-fusions-acquisitions dont les pages économiques livrent chaque semaine la chronique, donc en devenant à leur tour transnationales. Cela n'empêche pas la montée en puissance d'un pôle européen, économique aujourd'hui, politique un jour, mais retarde sa maturation, et explique que la France, l'Allemagne, etc. se laissent encore si aisément forcer la main.

"L'argent à lui seul obligera l'Europe, tôt ou tard, à se fondre en une grande masse."(Nietzsche, Fragments posthumes, 1884-85)

La coalition anti-serbe, sous direction du Pentagone, prouvait la supériorité stratégique et technologique américaine, et marquait une nouvelle étape dans le repartage du monde consécutif à la dissolution de l'empire russe. Ukraine et Kazakhstan ont participé à des manoeuvres otaniennes. Au début de 1999, trois ex-alliés forcés de l'URSS sont entrés dans l'OTAN, dont des avions bombardaient la Serbie à partir d'aéroports hongrois. Sauf la Biélorussie et l'Ukraine, tous les anciens membres du Pacte de Varsovie sont candidats à une entente dirigée contre le bloc russe et garantissant leur stabilité intérieure. Ils savent qu'au même titre qu'un incident de frontière ou un massacre excessif, tout soulèvement populaire, parce qu'atteinte à la "sécurité" et à la démocratie, justifie désormais une intervention otanienne. Sous l'aile américaine, l'Europe centrale forme un ensemble capitaliste plus ou moins "de marché", face à une zone à dominante russe, lourde de risques sociaux.

La question centrale n'est pas celle du poids de l'Amérique du Nord face à une Europe qui balbutie, mais la nature de l'hégémonie ainsi imposée. Nous ne sommes plus dans la situation de guerres locales - au Moyen Orient, en Afrique et en Indochine – enjeux d’une guerre froide faite de conflits multiples mais contrôlés. Le temps est révolu où, du Guatémala (1954) au Chili (1973), les interventions des Etats-Unis impulsaient leurs investissements et leur commerce. Europe et Amérique ont aujourd'hui en partage un même obstacle: leur incapacité commune à ne pouvoir développer l'ancien bloc de l'Est.

En brisant les entraves posées à la circulation marchande par la souveraineté étatique, l'OTAN a fait oeuvre utile au capital, mais seulement négative: encore faudrait-il une production rentable pour des acheteurs solvables. Ni l'une ni l'autre condition ne sont près d'être remplies en Europe orientale. Quelle entreprise française escompte des profits en Bosnie ou en Bulgarie ? Le jour où les mines de Trepca redémarreront, elle fonctionneront comme n'importe quelle "poche" de développement dans le tiers-monde, exportant des matières premières vers les pays riches. Un "Plan Marshall balkanique" serait d'ailleurs un non-sens sans la Serbie. On imagine mal l'Allemagne exclue du Plan Marshall de 1947.         

L'hégémonie de l'impérialisme sur les Balkans et le Caucase ne les a pas stabilisés. Sans même parler des risques de dérive autoritaire et expansionniste en Russie (cf. la guerre au Daghestan et la reprise des hostilités en Tchétchénie), ni des conflits possibles entre Macédoine, Grèce, Albanie..., aucune fracture ethnique (en fait, due à la déstructuration des communautés traditionnelles par le capital et l'Etat moderne) n'a été réparée. Quant aux vainqueurs, l'Allemagne reconnaît la Slovénie et la Croatie, la France n'est pas défavorable à la Serbie, l'Angleterre lui est hostile. Contrairement à la guerre froide, parmi les grandes puissances, chacune est susceptible de devenir l'ennemie de toutes les autres. La dernière guerre européenne du 20e siècle laisse une fragmentation accrue.

Avant 1914, cinq empires dominaient l'Eurasie. 14-18 ouvrit une période de dispersion, mal recouverte après 45 par la compacité des deux blocs. Nous vivons une situation plus proche de 1918 que de 1945. Wilson poussait à la désagrégation des empires vaincus, sans apporter à une Mitteleuropa balkanisée les moyens de sa stabilité. En 1999, les armées otaniennes contrôlent la région, mais ne peuvent en assurer l'essor économique ni l'équilibre social. En 1999 comme en 1918, le capital le plus moderne est à même de démanteler une région, non d'y promouvoir des Etats viables... et démocratiques.

9.  EXISTE-T-IL UN « MOINDRE MAL » ?

Si elle lève les masques, la guerre aussi les renouvelle. Quand le PCF n'ose s'affirmer franchement contre la guerre. Quand une partie de la Ligue Communiste crie "OTAN GO ON !". Quand d'autres trotskystes se font une certaine idée de la France, commune à des gaullistes de gauche et à des socialistes de droite. Quand surgissent des "nationaux républicains", et qu'à l'inverse une foule d'intellectuels doivent admettre que, selon leurs propres critères, les B-52 semblent pour une fois du bon côté......

…Alors se déchire l'ultime fragment de discours radical. Ils étaient contre les bourgeois, non contre le capitalisme. Contre l'adjudant borné, non contre l'armée du peuple. Contre le cocardisme, jamais contre la nation. Le "vert" vire khaki parce qu'il est tricolore. Chevènement, Hue, Krivine peuvent monter sur la même estrade parce qu'ils sont français. Tout ce qui est national est leur. Ils ne connaissent que deux révolutions: française et informatique.

Mieux qu'en 1990-91 - la croisade anti-Irak sentait trop la politique de la canonnière - le capitalisme recycle tous les idéaux, et recompose ce que les forces politiques conservaient de spécifique. Les pâles clignotants qui hier encore s'allumaient pour distinguer droite/gauche, gauche/extrême-gauche, libéralisme/socialisme... sont éteints. Après avoir renoncé au symbole de sa différence - le refus du nucléaire - l'écologie appuie des armées usant de munitions radioactives. La participation constante mais honteuse de la SFIO aux entreprises coloniales est remplacée par une franche approbation de la gauche à l'offensive anti-serbe.    

Aucun de ceux à qui l'on tend un micro n'est opposé à ce que l'Etat lance ses troupes à l'assaut: il regrette seulement l'absence de justification recevable. Cette guerre est mauvaise, faites-en une bonne, exigent les adversaires de l'OTAN, montrez-nous un authentique génocideur, prouvez que vous défendez les droits de l'homme, et nous vous suivrons. Mis à part une poignée d'irréductibles, personne ne remet en cause la violence militaire, uniquement son mésusage. Tous ces gens cherchent le "bon" camp où se ranger. Comme d'autres ont défendu le "monde libre" contre le "totalitarisme", la gauche intellectuelle a vécu de ce qu'elle soutenait: Staline contre Hitler, Tito contre Staline, les armées de la paix contre les armées de la guerre, les Khmers Rouges contre l'impérialisme, le Vietnam contre les Khmers Rouges, la bureaucratie contre la bourgeoisie, une bureaucratie éclairée contre une pire, toujours un Etat ou une puissance contre d'autres.  

"Ils demandent qu'il y ait plus de morts, Ils inventent des excuses pour toutes les ruines."  (Armand Robin)

Les morts sont toujours là, et les excuses aussi. Mais les "justes causes" ? Il n'y a plus que de moindres maux. L'UCK étant un pauvre substitut de FNL vietnamien, l'ex-gauchiste s'est réveillé orphelin.

La bonne conscience a tant crié au fascisme qu'elle s'est trouvée démunie devant des bombes lancées contre ce qui ressemblait le plus, depuis 1945, à la politique raciale hitlérienne.

Les nazologues patentés guettaient du côté de quelque Internationale Noire. Affolant leurs boussoles, la résurgence fasciste arrive en sous-produit d'un "socialisme yougoslave" longtemps présenté comme une alternative démocratique digne d'intérêt. Comble du paradoxe, c'est la gauche qui se trouve accusée de tiédeur philofasciste, quand l'Allemagne dénonce un génocide, et le Département d'Etat l'Hitler de Belgrade. Le président de la république française (un homme de droite) parle de "l'effacement méthodique de tout un peuple", refuse de "laisser la gangrène de l'innommable s'installer au coeur de notre continent", et le premier ministre (de gauche) déclare: "des crimes contre l'humanité sont perpétrés au coeur de l'Europe. C'est donc un combat pour la civilisation que nous menons." Mais, en face, des génocideurs arborent badges "NO PASARAN" et T-shirts "GUERNICA". Le progressisme s'y perd, quand il voit retourner contre lui sa propre imagerie horrifiante. Le "politiquement correct" vient de vivre sa véritable scission.

Quoiqu'elle paraisse donner enfin sa chance au "Plus jamais ça !", la guerre actuelle l'enterre. "Dénazifier" la Serbie n'aurait de sens que si l'on imposait au régime, comme autrefois aux hitlériens, une capitulation sans conditions suivie de l'occupation du pays. Face à l'extrême, seul l'absolu a un sens, et le relatif est insignifiant. Or, même les plus acharnés n'exigent pas le remodelage complet de la société serbe. Ceux qui désignent l'Etat serbe comme criminel contre l'humanité, s'asseyent à une table avec ses dirigeants. L'innommable se combattrait-il à moitié ? Il n'y avait donc là que le sérieux des mots. L'anti-fascisme fin de 20e siècle n'était qu'une des dernières phrases radicales: il est mort au printemps 1999, épuisé d'avoir servi à trop de chefs d'Etat.

L'accusation de génocide lancée contre la Serbie réduit en outre l'horreur nazie à un rappel historique, au mieux à un étalon de mesure, puisque le traitement infligé aux Kosovars s'apparente plutôt à ce que subirent les Arméniens en 1915. La spécificité du judéocide, son mode d'extermination industriel (transport par train, concentration en camp et gazage) sont ici absents. Malgré elle, l'inflation verbale anti-serbe révèle l'impossibilité logique à présenter le génocide des Juifs comme unique au moment où l'on dit empêcher qu'il se répète. La guerre de 1999 signe la fin de l'après-45.   

10. LE "FURTIF" À $ 2 MILLIARDS A-T-IL TRIOMPHÉ  DES CHAÎNES HUMAINES ?

Dans les airs, la guerre déréalisée, satellitaire, communauté de nulle part et de partout, l'avion qui traverse tous les espaces sans s'inscrire dans aucun, la numérisation, la circulation. Au sol, l'appartenance, la communauté immédiate, la terre et le sang, des corps en chaîne autour des monuments, l'amour du frère de race et la haine du voisin de trente ans, le meurtre "au contact", la pureté et la souillure: "tuer et baiser", disait un milicien serbe.

Prothéisation et naturalisation de l'humain ne sont pas deux excès entre lesquels il conviendrait de dessiner une voie médiane, mais des fruits de la même matrice historique, deux errances complémentaires de l'espèce, l'une et l'autre à dépasser.

Tout déploiement technologique est autant idéologie que phénomène matériel. La manufacture de 1840 fabriquait à la fois cotonnades, rapports sociaux et représentations. L'industrie mortifère de l'an 2000 diffuse la vision du monde portée par ses produits Hi-Tech. Soir après soir, la guerre électronique prenait pour cible le public occidental comme la population serbe. Chaque impact était censé démontrer au Milanais et au Lillois, non seulement une supériorité militaire, mais l'omnipotence, l'inévitabilité du mode de vie d'où sortent de si invulnérables engins.

La guerre américaine (occidentale) exprime l'utopie capitaliste: évacuer le facteur humain, n'agir qu'à distance, ne pas faire mais faire faire, et tout savoir afin de tout maîtriser. Sa prétention prolonge celle de l'économie de paix. Après le "défaut zéro", "zéro mort". Après le mythe du télétravail, la téléthanasie. L'ouvrier étant désormais réputé invisible, reste l' "opérateur": finies production et transformation de la matière, le réel ne serait plus composé que de 0 et de 1. L'homme moderne se partagerait entre agir sur l'immatériel, et consommer des objets venus il ignore d'où. Tueur-fonctionnaire ou zappeur, voilà en 1999 les seuls rôles offerts au citoyen d'un pays belligérant occidental. En un mot, l'industrie de la destruction mettrait hors jeu un l'homme déjà quasi-superflu dans la production.

Dans une entreprise, cependant, l'innovation n'a de portée qu'en accroissant la rentabilité d'individus qui travaillent. De même, les prodiges électroniques de la coalition restaient sans effet tant que les dirigeants de Belgrade refusaient les conditions otaniennes. Dans l'atelier et sur le champ de bataille, le détour technique permet de contourner l'homme, mais celui-ci invariablement réapparaît.

Comme on économise un précieux capital, l'US Army prend soin du GI. Du 6 juin 1944 au 8 mai 1945, dans toute l'Europe, elle en a perdu 135.000: comparons aux 100.000 morts français en mai-juin 40. Aujourd'hui plus encore, l'Amérique livre une guerre de matériel, et ne forme pas un professionnel pour le laisser mourir trop tôt.

Le rêve d'un "champ de bataille électronique" est né du Vietnam, où le Pentagone maîtrisait tout, sauf les rapports sociaux. A défaut d'agir sur l'histoire, disait un expert, nous changerons la géographie: défoliation, arasement, assèchement, inondation... Le tapis de bombes atomiques étant exclu parce que contraire, non à la morale universelle, mais au but de guerre, les Etats-Unis échouèrent à remodeler la nature, physique et humaine.

Les déserts d'Arabie offraient un meilleur terrain à l'utopie technologique. Ludiques ou mortels, les objets du capital adorent le vide, réel ou virtuel. Six semaines de bombardement, quatre jours d'offensive terrestre, très peu de pertes occidentales, peu de cadavres irakiens visibles, bon rapport input/output. L'Irak a battu en retraite. Mais qui affrontait qui ? Saddam a dressé une armée moderne contre une coalition d'armées ultra-modernes, et vu ses troupes conventionnelles vaincues par des forces de même type cent fois supérieures. La superpuissance mondiale a eu raison d'une puissance régionale, laquelle avait porté la concurrence sur un terrain où elle ne pouvait que perdre.

Fondée sur la masse (accumulation de matériel) et la vitesse (frapper Just In time), la guerre électronique, comme toute entreprise capitaliste, fait preuve d'une intense productivité destructrice, mais court le risque de "rendements décroissants" dans son travail de démolition, dès qu'elle perd du temps et du personnel. Le laser n'aime pas les nuages. Un haut coefficient capitalistique oblige une firme menacée dans sa rentabilité à investir toujours davantage. Bien sûr, de la même façon qu'une entreprise recourt à l'endettement, l'armée se finance sur des fonds publics souvent fort généreux. Encore faut-il rester rentable. Or, la suraccumulation du capital militaire freine sa valorisation, car elle oblige à des équipements de plus en plus coûteux pour un rapport coût/bénéfice problématique: 3000 armes téléguidées lancées, seulement 500 leurres et 60 chars serbes anéantis. Le sous-emploi d'hélicoptères de combat aussi fragiles que redoutables (sur 24 Apache, 2 furent perdus avant tout combat, et les autres jamais engagés) illustre la disproportion entre des capacités destructives et leur application effective.

Résister au terrorisme technologique, c'est donc d'abord ne pas oublier quelle réalité humaine doit incorporer la machine pour être conçue, produite et mise en oeuvre. AWACS, A-10 et Cie ne remportent pas plus la victoire qu'une automatisation totale des usines ne restaurerait les profits.

Les Etats-Unis ne partent jamais en guerre pour défendre leurs frontières, ni pour simplement vaincre, mais afin de diffuser leur civilisation: aussi n'attaquent-ils qu'après s'être assuré les moyens d'une écrasante suprématie matérielle. Peut-être le Pentagone a-t-il estimé de bonne foi (la mauvaise foi vaut la bonne, disait Breton) que, la technique étant naturellement supérieure à l'ethnique, la précision des bombardements interromprait un nettoyage vulgairement humain. L'Amérique ne comprend la violence que sous la forme où elle la pratique. Or, une rage ethnique ne se combat pas comme une armée. Au Rwanda, confisquer 500.000 machettes n'aurait pas suffi: un groupe décidé peut tuer n'importe qui à coups de bâtons. Au Kosovo, puisque la version officielle stigmatise des moeurs d'un autre âge, pulvériser les casernes devait rester sans effet: privés de Kalachnikovs, les forcenés massacreraient avec des tromblons.

En choisissant de frapper la Serbie dans ses infrastructures, la coalition otanienne menait une campagne stratégique, politique. Le "zéro mort" ne s'applique pas aux civils, car la cible, c'est la capacité productive et organisatrice de l'adversaire, donc la société, donc la population. Au moment où il se prétend post-industriel, voire post-moderne (?), ce monde réaffirme dans ses actes la primauté de l'économie la plus objectivement concrète: usines, centrales électriques, ponts, dépôts de carburant... La guerre n'est pas plus dé-territorialisable que la production ne devient immatérielle. L'impérialisme n'est pas un tigre de papier. La guerre du Golfe, celle contre la Serbie, ont bien eu lieu. Missiles et bombes dévastent et démembrent. La guerre n'est pas télévisuelle. Hors du cyberespace, sur terre, la pesanteur sociale reprend ses droits. L'OTAN doit négocier, contenir, et même refaire une petite place à la Russie.

Ces avions aux noms significatifs (Phantom, Furtif, Mirage...) auront prouvé que leur supériorité vaut seulement en l'air, et que tout n'est pas espace de circulation. Le capital est valeur en mouvement, mais n'est pas que cela. Pour se valoriser, la valeur a besoin d'autre chose qu'elle: le travail. Le capital, ni ne se suffit à lui-même, ni n'a avalé la matière, et certainement pas la matière humaine. La guerre exacerbe le paradoxe d'un système qui nie ce qui le fonde.

11. QUE FAIRE ?

D'abord, ne pas reprendre les mots dominants. La première capitulation a lieu sur le langage, toujours, surtout dans un monde qui tue pour sauver des vies, guerroie pour la paix, attaque pour se défendre, et dicte des conditions démocratiques.

L'ère spectaculaire rend désuet le bourrage de crâne, et démocratise la censure.

"J'ai fait un pacte avec ma majorité: Nous sommes en guerre, ai-je dit, vous êtes libres de faire des meetings, des déclarations, des débats. Mais c'est moi qui décide." (M. d'Alema, chef PDS - l'ex-PCI - du gouvernement italien)

Seule l'archaïque Serbie s'est livrée à une propagande belliciste, matraquant l'esprit critique. Dans l'Occident de 1999, la démocratie médiatique (y en a-t-il une autre ?) vit de son auto-critique permanente, ce qui implique qu'une réalité restera incritiquée : l'existence même de cette démocratie. Peu de conflits auront été autant contestés au sein des classes dirigeantes européennes, enchevêtrant le camp de la paix dans celui de la guerre. Tout aussi bien que l'étouffante télé serbe, le millefeuille d'opinions occidental bloque la réflexion. La propagande inculque une idée unique, le brouillage informationnel encourage leur prolifération. On réfute mieux un mensonge qu'une addition de vérités partielles dont chacune annule la part vraie de sa voisine.

Dès lors, la difficulté est moins de repérer la "bonne" information que de changer de question. Contrairement à 1914, l'Allemand ou le Français de 1999 pouvait trier lui-même les vérités déjà contenues dans les médias, non en achetant un journal de plus, plutôt en se décidant à ne lire la presse que deux ou trois fois par semaine, à n'écouter qu'un seul bulletin d'information quotidien, etc.

L'idéologie n'est pas faite d'idées fausses, mais d'une façon faussée de se situer. Contrer les versions officielles n'est pas rétablir des faits. Mais parler d'autre chose. Parfois se taire. Aucune proclamation ne dissipera le brouillard mental. Silence et non-participation sont des armes quand la prise de parole fond en cacophonie.

Car nous sommes dans ce monde, non de ce monde.

A quoi bon dénoncer ? Jamais l'exposition des horreurs de la guerre n'avait autant justifié la guerre,- et tous ses camps.

Une révolution "à titre humain" supposerait qu'un nombre significatif de prolétaires ne se reconnaissent dans aucune patrie. Mais l'anti-patriotisme ne suffit plus, à l'heure où des patriotes professionnels dénoncent les va-t'en guerre. Le capitalisme est patriote et apatride, et mêle culte des racines et déracinement. Toute constitution d'identités est donc à dépasser, et aussi bien l'addition que l'imbrication de groupes identitaires: les Français + les Allemands + les Juifs + les Occitans + les Arabes + les Turcs + les Kurdes +........

Au lieu de dresser un sottisier de citations infâmes des pro-guerre avérés comme des faux "anti", mieux vaut se demander quelle inflexion réelle apportent la gauche et les verts à la politique suivie par les Etats. En échange de leur soutien, les réformistes d'antan imposaient au capitalisme quelques adoucissements: en 1914-17, la présence au gouvernement de J.Guesde, A.Thomas et M.Sembat apportait un menu changement spécifique. Aujourd'hui intégrée au fonctionnement du capital, la réforme n'est plus l'apanage de la gauche, qui n'a d'existence que par un encadrement pratique et idéologique d'une partie des salariés. Cohn-Bendit ajoute une image, et doit être critiqué ou oublié en tant que tel, ni plus ni moins que "la voiture qui ne pollue pas".

Ne pas se payer de mots, c'est aussi voir ce que signifie l'internationalisme prolétarien, quand le prolétariat est loin de présenter une réalité évidente. Et mesurer ce qui est caduc, dont la répétition finit en formules de confusion.

Quelle portée donner au "défaitisme révolutionnaire", lorsque se multiplient des défaitismes anti-révolutionnaires ? En lançant ce mot d'ordre en 1914, Lénine s'adressait à un mouvement très minoritaire, mais réel et actif. On sait qu'il n'en fut pas de même en 1939. Quant à aujourd'hui... De plus, le nationaliste Le Pen, comme en 1990, s'est opposé à une guerre également dénoncée à l'autre bord par des gens de gauche et d'extrême qu'aurait réjouis une défaite de l'OTAN.

"Cette guerre n'est pas la nôtre." Formule subversive à Zimmerwald en septembre 1915, quand socialistes français et allemands se retrouvaient côte à côte, mais lancée depuis par tant de contre-révolutionnaires avérés que nous ne pouvons plus nous en contenter.

Parler de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" ? Trop de guerres civiles, même d'origine populaire, mobilisent des prolétaires autour d'intérêts totalement contraires aux leurs.

Contre l'impérialisme, se revendiquer de la lutte de classe ? oui, mais laquelle : celle qui n'entretient qu'elle-même, ou celle porteuse d'une vie différente ? Nous avons moins à affirmer la lutte des classes que sa fin possible, dans le communisme.

Une critique de la guerre n'est aujourd'hui antagonique au monde existant que si elle pose la perspective d'un monde autre, d'une communauté humaine par la transformation des façons de produire, de manger, de se déplacer, d'habiter, d'apprendre... Vaste programme, mais en deçà il n'y a que la société actuelle. D'ici là, faisons également savoir que nous aiderons de nos faibles moyens tout insoumis ou déserteur français, belge, américain, serbe, albanais, UCKiste...

ANNEXES : 1871, 1914, et après 1945

I. 1870 : Victoire et défaite seront également funestes

Si la guerre franco-prussienne montre que l'emprise du chauvinisme n'est pas une fatalité, elle souligne aussi l'impossible recherche d'un camp à soutenir.

Dès la déclaration de guerre, en France comme en Allemagne, de nombreuses manifestations s'affirment internationalistes. A Chemnitz, des délégués représentant 50.000 ouvriers reprennent la formule "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" Lors du vote des crédits militaires (approuvés par les lassalliens), W.Liebknecht et A.Bebel s'abstiennent. Et le Conseil Parisien de l'Association Internationale des Travailleurs déclare le 12 juillet 1870: "La guerre, c'est le réveil des instincts sauvages et des haines nationales (..) la guerre nous serait une guerre fratricide.

 Cependant, si Marx et Engels apprécient le courage moral du geste de Liebknecht - désapprouvé par leur propre tendance dans le parti - ils estiment l'abstention inadaptée à la situation (cf. la biographie de Marx par F.Mehring). Comme en 1848-49, Marx juge en effet progressive l'unification allemande (mieux vaut un grand Etat bourgeois qu'une multitude de principautés), et négatif ce qui la menace, notamment, en 1870, le Second Empire de Napoléon III. Par conséquent, pour l'Internationale, "Du côté allemand, la guerre est une guerre de défense." (Première Adresse du Conseil Général, 23 juillet)

Mais, "Si la classe ouvrière allemande permet à la guerre actuelle de perdre son caractère strictement défensif et de dégénérer en une guerre contre le peuple français, victoire et défaite seront également funestes. Tous les malheurs qui se sont abattus sur l'Allemagne après les guerres dites de libération resurgiront avec une intensité accrue."

Tel sera le cas après la débâcle française et la proclamation de la République (4 septembre). Selon l'AIT, la guerre change alors de sens et devient pour la Prusse entreprise de conquête: le 9 septembre, la Seconde Adresse du Conseil Général appelle donc les soldats allemands à ne pas entrer en France. Pour s'être prononcés contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine, les dirigeants proches de Marx sont emprisonnés par les autorités prussiennes. En décembre, le parti cette fois unanime refuse les crédits militaires, entraînant l'arrestation de Liebknecht et de Bebel.

L'Internationale ne fonde évidemment pas sa position sur l'amour de la patrie, mais sur le souci de promouvoir le cadre politique le plus favorable au prolétariat. Elle en vient cependant à choisir entre deux protagonistes pleinement capitalistes. La démarche du Conseil Général à Londres rejoint celle des socialistes en Allemagne: pointer à tout moment un pays plus responsable qu'un autre, distinguer agresseur et agressé. Le "fauteur de guerre", c'est pourtant l'ensemble des Etats, tous porteurs (en 1870 autrement qu'en 1914 ou 1999, certes) de l'expansion et des contradictions capitalistes.

Une telle attitude n'est pas sans conséquences. La thèse d'une guerre défensive du côté allemand s'inversant ensuite en offensive s'applique symétriquement à la France: puisque désormais cette dernière combat "pour la liberté de l'Allemagne et de l'Europe" (déclaration de Marx au Daily News, 16 janvier 1871), à partir du 4 septembre 1870, les ouvriers français sont invités à défendre l'Etat français. Par là, les internationaux renforçaient la tendance largement répandue en France, et pas seulement chez Blanqui, à se reconnaître dans une république drapée dans la mythologie de 1792. Le patriotisme à contenu social était, chacun le sait, une plaie du mouvement ouvrier français.

Ainsi, le même chauvinisme tricolore, dont Engels attendait quelques semaines plus tôt qu'une victoire allemande lui "torde le cou", est ensuite encouragé. Combat-on le chauvinisme des uns par la défense nationale des autres... puis l'inverse ? Où finit le patriotisme, où commence la défense légitime ?  Il est impossible de soutenir une réalité capitaliste tant qu'elle est (ou serait) plus avantageuse à la révolution, pour s'y opposer du jour où elle cesse de l'être.

Parti d'une analyse différente, Bakounine aboutit à une position voisine: utiliser le levier national pour réaliser la révolution sociale, à la faveur d'une levée en masse, d' "une formidable guerre de partisans, de guérillas (..) par un soulèvement immense, spontané, tout populaire, en dehors de toute organisation officielle, de toute centralisation gouvernementale (..)" (Lettres à un Français, septembre 1870, Oeuvres, Stock, t.2). La défaite de Sedan, explique Bakounine, a détruit l'Etat impérial: une fédération de communes et de provinces, seule capable de repousser l'invasion, détruira la machine étatique entière. Il ne s'agit pas d'union sacrée, mais de profiter d'une défense nationale, que la classe dirigeante ne peut ni ne veut assurer, pour mettre fin à la domination bourgeoise:

"(..) l'Etat est devenu maintenant le plus grand ennemi de la France (..) Pour sauver la France, vous devez le renverser, le détruire (..) la nation armée, c'est la révolution (..)"

Enfin, et ceci n'est pas sans rapport avec 1999, une bonne partie de la bourgeoisie française était hostile à la guerre de Napoléon III. Thiers la dit "détestable" et, comme d'autres républicains, refuse de voter les crédits militaires.

Du côté français, certaines sections de l'AIT dénonçaient le conflit moins par internationalisme que pour son caractère impérial et dynastique.

Toute l'ambiguïté de la Commune, puis de la IIème Internationale, est contenue dans les prises de position de l'été 70, à la base comme à la tête de l'AIT. Lorsqu'à Brunswick un meeting ouvrier déclare: "(..) nous sommes obligés de subir une guerre défensive comme un mal inévitable" (16 juillet 1870), il est difficile de ne pas en entendre l'écho quarante-quatre ans plus tard.

Aujourd'hui, nous ne pouvons nous contenter de dire que tout était différent en 1870 parce qu'avant 14 le capital était "progressif" et parfois ses guerres également... A toute époque, une "légitime défense" nationale ne saurait prendre qu'un sens anti-communiste. Seuls ceux qui théorisent l'Etat ouvrier jugent logique d'inviter les ouvriers à manoeuvrer comme un Etat. Pousser les révolutionnaires à faire le travail du capitalisme, c'est ne se préparer qu'à une révolution capitaliste. Pour le prolétariat, l'unique "politique étrangère" est de ne se ranger derrière aucune. Il est vain d'espérer accélérer le cours révolutionnaire de l'histoire en contribuant à une défaite qui nous serait plus favorable.                  

II. 1914: Le pacifisme, vecteur de guerre

En 1914, pas plus que les Français ou les Allemands ne sont partis fleur au fusil, pas plus le mouvement ouvrier n'a basculé en une nuit dans le bellicisme. Un mois sépare l'attentat de Sarajevo (28 juin) de la déclaration de guerre de l'Autriche à la Serbie. Allemagne et France mobilisent le 1er  août, et se déclarent la guerre les 3 et 4. Dans cette longue crise où la plupart des hommes d'Etat ignorent encore où mènera l'engrenage, CGT et SFIO n'abandonnent pas du jour au lendemain leur engagement de déclencher la grève générale en cas de conflit. Le 27 juillet, la CGT réunit 100.000 manifestants au cri d' "A bas la guerre!", et partout se multiplient les meetings pacifistes.

Or, exiger la paix, s'adresser aux gouvernements, espérer une conciliation au dessus des Etats et des classes, c'est renoncer à une action politique autonome des exploités. Le 28 juillet, en présence de Guesde, Vaillant, Jaurès, Luxemburg et Vandervelde, le Bureau Socialiste International demande aux prolétaires de faire pression "afin que l'Allemagne exerce sur l'Autriche une action modératrice et que la France obtienne de la Russie qu'elle ne s'engage pas dans le conflit".

Croire en un arbitrage international - lequel ne pourrait que retarder l'explosion ou en déplacer le lieu - équivalait à s'en remettre à autre chose que la force collective des prolétaires, et noyer ce qui en restait dans la masse informe des bonnes volontés.

C'est moins en mêlant leurs voix au choeur belliciste ("A Berlin !") qu'en déviant leur énergie de révolte vers l'objectif pacifiste - comme si paix et guerre n'étaient pas des phases successives ou imbriquées du monde industriel et marchand - que l'immense majorité des socialistes et anarchistes ont accompagné la marche à l'abîme.

III. Après 1945: L’équilibre de la terreur comme équilibre social. Ou : Bordiga, Chaulieu & Castoriadis

La force des armes est celle des stratégies sociales. Parce qu'elle avait réuni bourgeois et prolétaires en une terrible machine de guerre, l'Allemagne nazie pouvait vaincre la vieille démocratie française et occuper un continent. Mais, inapte à propager une civilisation de la consommation comme les Etats-Unis commençaient à le faire, le capitalisme hitlérien exportait au mieux le troc, au pire le pillage. Ce néo-colonialisme dressa presque partout contre lui les peuples et les classes dirigeantes. En Europe centrale et orientale, l'URSS intégra ces résistances à son projet capitaliste d'Etat, mobilisant le travail contre les bourgeois déconfits. L'Amérique lui fut supérieure: elle imposa un modèle incorporant à la fois travail et capital, refit sa place à la bourgeoisie, et finit par reconquérir pacifiquement après 1989 l'espace est-européen perdu en 1945. Le vainqueur est celui qui englobe le mieux, qui offre le plus à l'ensemble de classes le plus étendu. Contre le nationalisme germanique, le stalinisme avait absorbé le cadre national de la Résistance, mais sa perspective de développement servait d'abord les intérêts impérialistes russes. Contre un internationalisme du travail si fallacieux, c'est l' « internationalisme » de la circulation marchande qui l'a emporté.

Au lendemain de 1945, Socialisme ou Barbarie voyait une guerre Est-Ouest inévitable, parce que ce groupe croyait au dynamisme conquérant de la version bureaucratique du capitalisme, et n'envisageait pas que le monde puisse durablement rester coupé en deux. SoB se trompait doublement. La bureaucratie n'était pas l'avenir du capital. Et les deux protagonistes étaient trop dissemblables pour gagner à un affrontement direct. L'URSS disposait d'un empire, les Etats-Unis de la moitié de la planète. L'Amérique lancée dans une nouvelle ère d'expansion n'éprouvait aucun besoin de récupérer le marché polonais ou chinois, et la Russie consolidait son accumulation sans rien pouvoir offrir à l'Ouest de l'Europe.

Bordiga, lui, estimait quasi-nul le risque de guerre généralisée. C'est seulement lorsque l'extraction mondiale de valeur rencontrerait ses limites que chaque pôle serait conduit à se dresser agressivement contre d'autres. La guerre à venir ne résulterait pas de l'opposition USA-URSS, mais de la renaissance de concurrents abattus en 1945 (Allemagne et Japon), combinée au surgissement de nouvelles puissances économiques.

L'équilibre interne aux "Deux Grands" expliquait leur politique étrangère. L'endiguement des luttes de classe à l'intérieur de chaque bloc rendait très improbable un choc frontal, et contribuait à rallier les bourgeoisies occidentales derrière le drapeau américain, et à faire accepter par les bureaucraties est-européennes la domination russe. Pressions, conflits locaux longs et meurtriers, avancées et reculs à la périphérie... n'interdisaient pas l'entente pour éviter d'aller trop loin, de perturber l'équilibre chez le rival et donc chez soi. Du blocus de Berlin (1948-49) à la crise des fusées (1962), chaque fois qu'ils ont approché d'un gouffre, Etats-Unis et URSS ont reculé. Quand l'hégémonie de chaque superpuissance sur sa zone a été remise en cause par une insurrection (guerre civile grecque, 1946-49) ou un soulèvement national (Hongrie, 1956), l'autre camp a laissé écraser la rébellion. Lorsque des antagonismes sociaux ont bousculé le statu quo (comme en Indochine et au Moyen Orient), les Deux Grands ont prévenu l'extension du conflit. Malgré toute sa propagande sur l'Empire du Mal, l'Occident a retardé la chute de l'URSS par des prêts et des investissements: craignant pour la stabilité du monde et donc la leur, les classes dirigeantes de l'Ouest préféraient à la fois affaiblir et maintenir le système bureaucratique. (Elles agissent de même aujourd'hui, consolidant à coups de milliards un régime russe vacillant.)

Peu importe que le Pacte de Varsovie ait disposé d'une supériorité de 3 à 1 en chars, avions et troupes face à l'OTAN. Le conflit se livrait sur un autre terrain. Dès les années 60, les achats russes de blé américain signaient une défaite. L'URSS s'est montrée incapable d'organiser travail et capital de façon productive. Citons seulement l'exemple du pétrole, qui avec le gaz représentait la première source russe de devises. Bien avant 1989, les revenus pétroliers soviétiques avaient baissé, faute d'investissements pour renouveler les équipements. En ouvrant l'URSS au monde, l'importation de technologies étrangères l'a même handicapée: on n'achète pas une technique sans ses rapports sociaux.

Dans les années 70, au moment où se précisait son impasse sociale, l'URSS s'est implantée dans de nombreux pays d'Asie et d'Afrique, gagnant en étendue contre une influence américaine diminuée. C'est dans cette phase qu'un affrontement direct Est-Ouest fut le moins impensable, un régime en déclin pouvant tenter de se sauver par une fuite en avant militaire, le déséquilibre social interne à l'URSS aboutissant à une rupture d'équilibre stratégique.

C’est à cette époque que Chaulieu (re)devenu Castoriadis définit la Russie comme "stratocratie" (régime où l’armée détient le pouvoir), et crut nécessaire de mettre en garde la démocratie occidentale contre une possible invasion soviétique. Compte tenu de l’enlisement de l’Armée Rouge en Afghanistan à partir de 1979 et de la disparition de l’URSS une dizaine d’années plus tard, il est facile de voir aujourd’hui que Castoriadis avait moins bien perçu les signes du déclin bureaucratique que ne le faisait alors par exemple E. Todd dans La Chute finale (1976). Cependant,  le plus grave n’est pas l’erreur de prévision, mais qu’en théorisant en 1980 la stratocratie, Castoriadis reprenait ce qu’avait de faux en 1950 sa théorie de la bureaucratie.

A ses origines, Socialisme ou Barbarie estimait le capitalisme bureaucratique historiquement supérieur au capitalisme de marché, et pensait d’ailleurs que les Etats-Unis allaient eux aussi vers une forme bureaucratique, différente bien sûr de celle de l’URSS, car dirigée par des managers et non par un parti unique. Trente ans après, Chaulieu-Cardan-Castoriadis, sans nier la perte de dynamisme du système bureaucratique, le juge en tout cas efficace en un domaine, l’armée, où il serait même supérieur au rival américain. Pourquoi ? parce que, selon Castoriadis, la domination de l’Etat russe par les militaires leur permet de mobiliser le meilleur des ressources (y compris les technologies les plus avancées), de les affecter aux armements, et ainsi de préparer le pays à des guerres locales ou générales. Incapable (et peu désireuse) de rivaliser avec le capitalisme occidental pour fabriquer et vendre des voitures ou des tourne-disques, l’URSS le dépasserait dans la production d’armements… et la capacité de s’en servir. 

Une objection vient tout de suite à l’esprit : comment une société industrielle moderne pourrait-elle être défaillante dans tous ses secteurs sauf un, et pas n’importe lequel, le secteur militaire, qui suppose la convergence d’efforts productifs dans l’ensemble des domaines (science & technique, moyens de transport fiables, machines de précision, fabrication en série et de qualité, etc.) ? Par exemple, un pays qui truque ses statistiques peut-il mener une recherche de pointe ?

Si Castoriadis, évidemment conscient de cette objection, n’en tient pas compte, c’est qu’il croit possible qu’un capitalisme fonctionne en étant durablement divisé en deux sphères presque indépendantes. Et s’il le juge possible, c’est qu’il croit à une certaine vision du capitalisme. Entre 1950 et 1980, l’analyse a changé, mais son fondement reste le même : pour lui, le capitalisme n’est pas la valorisation du travail par le capital qui achète le travail pour s’accumuler, c’est un mode de gestion du travail par le capital. Donc, là où cette gestion est la mieux perfectionnée, la plus concentrée, elle sera la plus efficiente. En conséquence, du moment que les chefs de l’armée contrôlent le pouvoir central, rien n’empêche de séparer en deux la société, d’organiser de la façon la plus moderne le secteur et la vie militaires, et d’abandonner le reste à son marasme : pour Castoriadis, là où règne la bureaucratie, prix, échanges marchands, profits et impératifs de rentabilité, quasiment manipulables, ne jouent aucun rôle réel. Finalement, dans le capitalisme bureaucratique, capital et travail cesseraient d’être des marchandises.

En parlant de stratocratie, Castoriadis prolongeait la théorie de la bureaucratie de Chaulieu.  

Cependant, y compris sur le strict plan des armements, malgré son recul momentané dans le tiers-monde, c'est l'Amérique qui reprit l'offensive, prouvant sa supériorité technologique (missiles anti-missiles, même en faisant la part du bluff), et sa capacité à peser sur ses alliés européens (déploiement des fusées Pershing en 1982). Chacun put constater qui disposait du meilleur complexe militaro-industriel, et où était la stratocratie la plus efficace.

Une chose était de s’implanter en Afrique, comme le fit alors l’URSS aux dépens des ex-puissances colonisatrices : c’en était une autre que d’y apporter des solutions viables. En Angola, Russes et Cubains étaient capables d’assurer la victoire du MPLA en 1975 contre les forces soutenues par les Américains. Mais le « camp socialiste » n'offrait à l'Angola qu'un industrialisme étatique inadapté. L'impérialisme étasunien, lui, était à même de développer les ressources du sous-sol africain, notamment le pétrole. C'est d’abord sur ce terrain que s'est réglé le conflit Est-Ouest.

Quelques années plus tard, Gorbatchev donnera un soutien à peine critique à l'intervention onusienne (américaine) contre l'Irak : pour la première fois, l'URSS - qui n'a qu'un an et demi à vivre - n'exploitait pas, ne serait-ce qu'en paroles, un conflit inter-impérialiste. Ensuite, l'armée russe aura le plus grand mal à venir à bout des Tchétchènes. En 1999, les quelques centaines de soldats russes partis de Bosnie pour s'inviter sur l'aérodrome de Pristina dépendront de l'OTAN pour leurs vivres et leur carburant.

Ce sont la fin du duopole, les ébranlements sociaux des années 1960 et 70 dans les pays les plus développés, et la montée en force de nouvelles puissances, qui rouvrent la perspective de guerres, non plus périphériques mais frappant au coeur des métropoles marchandes. Unique certitude, le conflit naîtra où aujourd'hui nous ne l'attendons pas. Après 1918, une prévision fort répandue, y compris chez les révolutionnaires, annonçait une guerre entre l'Angleterre et les Etats-Unis...   

LECTURES UTILES (2010) :

Bien que depuis 1999, beaucoup ait été publié sur la guerre du Kosovo, cette liste sera courte.

Nous sommes revenus sur ces thèmes dans les textes suivants lisibles sur notre site :

L’Appel du vide, 2004

Irak, 2004 :Fausses routes, 2004

Demain, orage : essai sur une crise qui vient, 2007

Et : Sur l’anti-militarisme, 1997

Egalement :

Cl. Guillon, Dommages de guerre (Paris-Pristina-Belgrade-1999), L’Insomniaque, 2000

"Le Bombardement de Dresde comme rapport social", La Banquise, n°3, 1984

"La guerre impérialiste", Programme Communiste, n°90 (1988) et 92 (1991)

J.-J. Becker, L’Année 14, A. Colin, 2004

Les Marxistes et la question nationale 1848-1914, L’Harmattan, 1997

Sur l'utopie militaire du capital, et par un de ses adeptes: L. Murawiec, La Guerre au 21e siècle, Odile Jacob, 2000

« Deux guerres locales », Internationale Situationniste, n°11, 1967

C. Castoriadis, Devant la guerre, Fayard, t.1, 1981 (il n’y eut pas de tome 2)

Ph. Gottraux, Socialisme ou Barbarie, Payot, 1997

Sur la Yougoslavie:   

A. Bordiga, "La Guerre balkanique", 1912, (Dis)continuité, n°4, 1998. On trouvera nombre de textes de Bordiga sur pcint.org et sinistra.net

"Yugoslavia Unravelled", Aufheben, n°2, 1993, Brighton

"From Wage Cuts to War", Wildcat, n°18, 1996, Londres

Ph.Bourrinet, La Question nationale yougoslave, 1995, ainsi qu'une biographie d'Anton Ciliga, où l'on voit comment le fait national a décomposé le mouvement communiste en Yougoslavie dans les années 20 (disponibles sur Internet).   

P.Garde, Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, 1999

Cahier spécial sur le Kosovo, Monde Diplomatique, 2006